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Au Turkménistan, la lutte sans relâche pour “éradiquer” le tabagisme

Adolescent, Bekmourad Khodjaïev se cachait de ses parents pour fumer. Cinquante ans plus tard, ce retraité se cache toujours, mais désormais de la police du Turkménistan, où les autorités promettent de “libérer” ce pays reclus d’Asie centrale du tabac d’ici la fin de l’année.”Je fume dans mon appartement. Mais si l’envie me prend de fumer en ville, je cherche un endroit sans caméras de surveillance pour éviter une amende: une ruelle, une impasse, derrière des buissons hauts, des arbres, dans un endroit désert”, raconte à l’AFP ce maçon de 64 ans.”J’ai déjà été verbalisé en bas de chez moi. Depuis, j’essaie de ne plus me faire avoir” dit M. Khodjaïev.La police fait la chasse aux fumeurs pour “éradiquer le tabagisme” d’ici fin 2025 et transformer cette ex-république soviétique de quelque sept millions d’habitants en premier “pays libéré du tabac”.Un objectif fixé en 2022 par le dirigeant incontesté, Gourbangouly Berdymoukhamedov. Cet ex-dentiste exaltant un mode de vie sain a fait du Turkménistan l’un des champions du monde de lutte contre le tabagisme, avec seulement 4% de consommateurs, selon l’Organisation mondiale de la Santé, qui évalue à plus de sept millions, le nombre de morts dus au tabac chaque année.Pour satisfaire son addiction, le maçon Khodjaïev “achète des cigarettes dans des kiosques privés, car il n’y en a pas dans les magasins étatiques”, propriétés du ministère du Commerce.Dans son kiosque de la capitale Achkhabad, le vendeur Meïlis propose des cigarettes importées “d’Ouzbékistan, du Kazakhstan et d’Iran”.”La plupart du temps, je les vends à l’unité. Tout le monde ne peut pas se permettre d’acheter un paquet entier, c’est trop cher”, lâche ce jeune homme de 21 ans, craignant de dire la phrase de trop à un journaliste.- Amendes à foison -Selon plusieurs fumeurs invétérés interrogés par l’AFP, le paquet varie de 50 à 170 manats, les cigarettes entre deux et cinq.Un paquet peut représenter jusqu’à 11% du salaire moyen, qui tournait autour de 1.500 manats en 2018, d’après les dernières données turkmènes disponibles.Une somme conséquente, même si les comparaisons avec d’autres pays sont compliquées par le double taux de change au Turkménistan: l’officiel, utilisé par l’Etat pour contrôler artificiellement la monnaie, et celui, réel, du marché noir, six fois plus faible.Dans un hôpital d’Achkhabad, la médecin Soltan se félicite de la “lutte active contre le tabac”.”Nous traitons la dépendance au tabac. Le ministère de la Santé a créé des centres où les fumeurs peuvent obtenir gratuitement des conseils pour arrêter”, explique-t-elle à l’AFP.Mais les autorités misent surtout sur la coercition pour atteindre leurs objectifs: hausse des taxes douanières, de l’âge légal pour fumer; interdiction de consommer partout ou presque, limitation à deux du nombre de paquets autorisés à importer et évidemment, une hausse et multiplication des contraventions, pouvant atteindre 200 manats.”Après avoir reçu plusieurs amendes, j’ai définitivement décidé d’arrêter après un épisode où je fumais dans ma propre voiture, garée sur un parking municipal”, raconte Ilyas Byachimov, entrepreneur de 24 ans.”Un policier m’a verbalisé. J’ai protesté en disant que c’était ma voiture . Il m’a répondu : oui, la voiture est à toi, mais le parking est un lieu public” se souvient-il.- Excuses publiques -Dans ce pays vivant à “l’ère de la renaissance d’un nouvel État puissant” gouverné sans discontinuer depuis 2006 par les Berdymoukhamedov, le père Gourbangouly puis le fils Serdar, ce pouvoir quasi-absolu est mis en scène.Après l’ordre du président Serdar Berdymoukhamedov de mener une “lutte sans compromis” contre le tabac en 2023, une vingtaine de personnes exhibées à la télé ont promis de ne plus jamais fumer de chicha ou d’importer du tabac de contrebande. Et des incinérations de cigarettes de contrebande sur fond de danses et musiques traditionnelles turkmènes sont régulièrement organisées.L’année 2025 est déjà bien avancée mais les autorités n’ont pas encore crié victoire.Sollicité par l’AFP, le ministère de la Santé a refusé de répondre, rien d’étonnant pour ce pays mutique où obtenir des informations est extrêmement compliqué et les vérifier est quasiment impossible.Mais des fumeurs semblaient dubitatifs quant à l’application de cette interdiction totale.”Les cigarettes ne disparaîtront pas complètement, mais deviendront beaucoup plus chères et un marché noir apparaîtra”, pense l’ouvrier Haïdar Chikhiev, 60 ans.La vendeuse Galina Soïounova estime elle que les cigarettes “seront toujours disponibles sous le manteau, encore plus chères”.”Qui achètera des cigarettes à prix d’or ? Personne. La question du tabagisme se réglera toute seule”, conclut la quadragénaire.Et avant même d’avoir atteint son objectif avec le tabac, le Turkménistan a annoncé mi-juillet un plan d’action pour s’attaquer à l’alcool d’ici 2028.

Au Turkménistan, la lutte sans relâche pour “éradiquer” le tabagisme

Adolescent, Bekmourad Khodjaïev se cachait de ses parents pour fumer. Cinquante ans plus tard, ce retraité se cache toujours, mais désormais de la police du Turkménistan, où les autorités promettent de “libérer” ce pays reclus d’Asie centrale du tabac d’ici la fin de l’année.”Je fume dans mon appartement. Mais si l’envie me prend de fumer en ville, je cherche un endroit sans caméras de surveillance pour éviter une amende: une ruelle, une impasse, derrière des buissons hauts, des arbres, dans un endroit désert”, raconte à l’AFP ce maçon de 64 ans.”J’ai déjà été verbalisé en bas de chez moi. Depuis, j’essaie de ne plus me faire avoir” dit M. Khodjaïev.La police fait la chasse aux fumeurs pour “éradiquer le tabagisme” d’ici fin 2025 et transformer cette ex-république soviétique de quelque sept millions d’habitants en premier “pays libéré du tabac”.Un objectif fixé en 2022 par le dirigeant incontesté, Gourbangouly Berdymoukhamedov. Cet ex-dentiste exaltant un mode de vie sain a fait du Turkménistan l’un des champions du monde de lutte contre le tabagisme, avec seulement 4% de consommateurs, selon l’Organisation mondiale de la Santé, qui évalue à plus de sept millions, le nombre de morts dus au tabac chaque année.Pour satisfaire son addiction, le maçon Khodjaïev “achète des cigarettes dans des kiosques privés, car il n’y en a pas dans les magasins étatiques”, propriétés du ministère du Commerce.Dans son kiosque de la capitale Achkhabad, le vendeur Meïlis propose des cigarettes importées “d’Ouzbékistan, du Kazakhstan et d’Iran”.”La plupart du temps, je les vends à l’unité. Tout le monde ne peut pas se permettre d’acheter un paquet entier, c’est trop cher”, lâche ce jeune homme de 21 ans, craignant de dire la phrase de trop à un journaliste.- Amendes à foison -Selon plusieurs fumeurs invétérés interrogés par l’AFP, le paquet varie de 50 à 170 manats, les cigarettes entre deux et cinq.Un paquet peut représenter jusqu’à 11% du salaire moyen, qui tournait autour de 1.500 manats en 2018, d’après les dernières données turkmènes disponibles.Une somme conséquente, même si les comparaisons avec d’autres pays sont compliquées par le double taux de change au Turkménistan: l’officiel, utilisé par l’Etat pour contrôler artificiellement la monnaie, et celui, réel, du marché noir, six fois plus faible.Dans un hôpital d’Achkhabad, la médecin Soltan se félicite de la “lutte active contre le tabac”.”Nous traitons la dépendance au tabac. Le ministère de la Santé a créé des centres où les fumeurs peuvent obtenir gratuitement des conseils pour arrêter”, explique-t-elle à l’AFP.Mais les autorités misent surtout sur la coercition pour atteindre leurs objectifs: hausse des taxes douanières, de l’âge légal pour fumer; interdiction de consommer partout ou presque, limitation à deux du nombre de paquets autorisés à importer et évidemment, une hausse et multiplication des contraventions, pouvant atteindre 200 manats.”Après avoir reçu plusieurs amendes, j’ai définitivement décidé d’arrêter après un épisode où je fumais dans ma propre voiture, garée sur un parking municipal”, raconte Ilyas Byachimov, entrepreneur de 24 ans.”Un policier m’a verbalisé. J’ai protesté en disant que c’était ma voiture . Il m’a répondu : oui, la voiture est à toi, mais le parking est un lieu public” se souvient-il.- Excuses publiques -Dans ce pays vivant à “l’ère de la renaissance d’un nouvel État puissant” gouverné sans discontinuer depuis 2006 par les Berdymoukhamedov, le père Gourbangouly puis le fils Serdar, ce pouvoir quasi-absolu est mis en scène.Après l’ordre du président Serdar Berdymoukhamedov de mener une “lutte sans compromis” contre le tabac en 2023, une vingtaine de personnes exhibées à la télé ont promis de ne plus jamais fumer de chicha ou d’importer du tabac de contrebande. Et des incinérations de cigarettes de contrebande sur fond de danses et musiques traditionnelles turkmènes sont régulièrement organisées.L’année 2025 est déjà bien avancée mais les autorités n’ont pas encore crié victoire.Sollicité par l’AFP, le ministère de la Santé a refusé de répondre, rien d’étonnant pour ce pays mutique où obtenir des informations est extrêmement compliqué et les vérifier est quasiment impossible.Mais des fumeurs semblaient dubitatifs quant à l’application de cette interdiction totale.”Les cigarettes ne disparaîtront pas complètement, mais deviendront beaucoup plus chères et un marché noir apparaîtra”, pense l’ouvrier Haïdar Chikhiev, 60 ans.La vendeuse Galina Soïounova estime elle que les cigarettes “seront toujours disponibles sous le manteau, encore plus chères”.”Qui achètera des cigarettes à prix d’or ? Personne. La question du tabagisme se réglera toute seule”, conclut la quadragénaire.Et avant même d’avoir atteint son objectif avec le tabac, le Turkménistan a annoncé mi-juillet un plan d’action pour s’attaquer à l’alcool d’ici 2028.

Au Pakistan, les tatouages hindous s’effacent des visages des femmes

Après avoir mélangé du charbon à quelques gouttes de lait de chèvre, Basran Jogi, 60 ans, se tourne avec son aiguille vers ses invitées du jour: deux enfants pakistanaises venues recevoir leur premier tatouage traditionnel.Dans les villages hindous de la frontière orientale du Pakistan, près de l’Inde, les tatoueuses dessinent à l’aiguille des lignes de …

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Au Pakistan, les tatouages hindous s’effacent des visages des femmes

Après avoir mélangé du charbon à quelques gouttes de lait de chèvre, Basran Jogi, 60 ans, se tourne avec son aiguille vers ses invitées du jour: deux enfants pakistanaises venues recevoir leur premier tatouage traditionnel.Dans les villages hindous de la frontière orientale du Pakistan, près de l’Inde, les tatoueuses dessinent à l’aiguille des lignes de points, des cercles et autres ornementations géométriques sur les visages, les bras et les mains des fillettes depuis des siècles.”D’abord, on dessine deux lignes droites entre les sourcils”, explique Mme Jogi à une amie qui vient de se saisir d’une aiguille à coudre.”Et maintenant on enfonce l’aiguille entre ces deux lignes, doucement, jusqu’à ce que le sang apparaisse”, poursuit-elle.Pooja, six ans, fait la grimace alors que les points commencent à former des cercles et des triangles de points sur son front et son menton. Son aînée, Champa, sept ans, s’impatiente: “moi aussi, je suis prête!”.Cette scène, longtemps ordinaire, se fait de plus en plus rare ces dernières années, alors que de plus en plus de familles hindoues – 2% seulement des 255 millions d’habitants de la République islamique du Pakistan – partent s’installer en ville.- Se fondre dans la foule -“Ces tatouages nous rendent identifiables parmi la foule”, explique Durga Prem, étudiante en ingénierie informatique de 20 ans, originaire de Badin, une ville de la province méridionale du Sindh où se concentre la minorité hindoue.”Notre génération ne les aime plus. A l’époque des réseaux sociaux, les jeunes filles évitent de se tatouer le visage parce qu’elles trouvent qu’avec ces dessins elles seraient vues comme différentes et pas attirantes”, affirme-t-elle à l’AFP.Sa sœur Mumta a aussi refusé de se faire tatouer les points qui ornent les visages de leur mère et de leurs deux grand-mères.Mais “si on était restées au village, on aurait sûrement ces tatouages sur nos visages ou nos bras”, dit-elle.Dans un pays où les minorités non musulmanes se disent discriminées dans de nombreux domaines, “on ne peut pas forcer nos filles à continuer” à se tatouer, affirme de son côté Mukesh Meghwar, un défenseur des droits des hindous.”C’est leur choix. Mais malheureusement, nous serons probablement la dernière génération à voir des tatouages sur les visages, les cous, les mains et les bras des femmes”, poursuit-il, pointant aussi du doigt les réflexions “défavorables” de concitoyens, car certaines écoles de l’islam condamnent le tatouage.Ce serait alors la fin d’une pratique pluricentenaire, profondément ancrée dans la culture, disent les anthropologues. A tel point que la plupart des hindous rencontrés par l’AFP plaident pour le tatouage mais avouent ne pas pouvoir en expliquer le sens ou l’origine.- Eloigner les mauvais esprits -“Ces symboles font partie de la culture des populations issues de la civilisation de l’Indus”, à l’époque de l’âge de bronze, affirme l’un de ces anthropologues, Zulfiqar Ali Kalhoro.”Ces +marques+ étaient traditionnellement utilisées pour distinguer les membres d’une communauté” et pour “éloigner les mauvais esprits”, détaille-t-il.Pour Mme Jogi, le tatouage, c’est avant tout “une passion” pour embellir le visage des femmes.”On ne les fait pas pour une raison en particulier, c’est une pratique qui existe depuis longtemps”, se borne-t-elle à affirmer, en examinant avec attention les visages fraîchement tatoués de Pooja et Champa. Aujourd’hui, les points qui ornent désormais leurs fronts sont d’un noir profond, bientôt ils deviendront vert foncé et tiendront jusqu’à leur dernier souffle.Basran Jogi et Jamna Kolhi peuvent en témoigner.”Ces tatouages, c’est une amie d’enfance qui me les a dessinés, elle est morte il y a quelques années”, raconte Mme Kolhi, 40 ans.”Quand je les vois, je pense à elle et à nos jeunes années. C’est un souvenir pour toute la vie”.

Au Pakistan, les tatouages hindous s’effacent des visages des femmes

Après avoir mélangé du charbon à quelques gouttes de lait de chèvre, Basran Jogi, 60 ans, se tourne avec son aiguille vers ses invitées du jour: deux enfants pakistanaises venues recevoir leur premier tatouage traditionnel.Dans les villages hindous de la frontière orientale du Pakistan, près de l’Inde, les tatoueuses dessinent à l’aiguille des lignes de points, des cercles et autres ornementations géométriques sur les visages, les bras et les mains des fillettes depuis des siècles.”D’abord, on dessine deux lignes droites entre les sourcils”, explique Mme Jogi à une amie qui vient de se saisir d’une aiguille à coudre.”Et maintenant on enfonce l’aiguille entre ces deux lignes, doucement, jusqu’à ce que le sang apparaisse”, poursuit-elle.Pooja, six ans, fait la grimace alors que les points commencent à former des cercles et des triangles de points sur son front et son menton. Son aînée, Champa, sept ans, s’impatiente: “moi aussi, je suis prête!”.Cette scène, longtemps ordinaire, se fait de plus en plus rare ces dernières années, alors que de plus en plus de familles hindoues – 2% seulement des 255 millions d’habitants de la République islamique du Pakistan – partent s’installer en ville.- Se fondre dans la foule -“Ces tatouages nous rendent identifiables parmi la foule”, explique Durga Prem, étudiante en ingénierie informatique de 20 ans, originaire de Badin, une ville de la province méridionale du Sindh où se concentre la minorité hindoue.”Notre génération ne les aime plus. A l’époque des réseaux sociaux, les jeunes filles évitent de se tatouer le visage parce qu’elles trouvent qu’avec ces dessins elles seraient vues comme différentes et pas attirantes”, affirme-t-elle à l’AFP.Sa sœur Mumta a aussi refusé de se faire tatouer les points qui ornent les visages de leur mère et de leurs deux grand-mères.Mais “si on était restées au village, on aurait sûrement ces tatouages sur nos visages ou nos bras”, dit-elle.Dans un pays où les minorités non musulmanes se disent discriminées dans de nombreux domaines, “on ne peut pas forcer nos filles à continuer” à se tatouer, affirme de son côté Mukesh Meghwar, un défenseur des droits des hindous.”C’est leur choix. Mais malheureusement, nous serons probablement la dernière génération à voir des tatouages sur les visages, les cous, les mains et les bras des femmes”, poursuit-il, pointant aussi du doigt les réflexions “défavorables” de concitoyens, car certaines écoles de l’islam condamnent le tatouage.Ce serait alors la fin d’une pratique pluricentenaire, profondément ancrée dans la culture, disent les anthropologues. A tel point que la plupart des hindous rencontrés par l’AFP plaident pour le tatouage mais avouent ne pas pouvoir en expliquer le sens ou l’origine.- Eloigner les mauvais esprits -“Ces symboles font partie de la culture des populations issues de la civilisation de l’Indus”, à l’époque de l’âge de bronze, affirme l’un de ces anthropologues, Zulfiqar Ali Kalhoro.”Ces +marques+ étaient traditionnellement utilisées pour distinguer les membres d’une communauté” et pour “éloigner les mauvais esprits”, détaille-t-il.Pour Mme Jogi, le tatouage, c’est avant tout “une passion” pour embellir le visage des femmes.”On ne les fait pas pour une raison en particulier, c’est une pratique qui existe depuis longtemps”, se borne-t-elle à affirmer, en examinant avec attention les visages fraîchement tatoués de Pooja et Champa. Aujourd’hui, les points qui ornent désormais leurs fronts sont d’un noir profond, bientôt ils deviendront vert foncé et tiendront jusqu’à leur dernier souffle.Basran Jogi et Jamna Kolhi peuvent en témoigner.”Ces tatouages, c’est une amie d’enfance qui me les a dessinés, elle est morte il y a quelques années”, raconte Mme Kolhi, 40 ans.”Quand je les vois, je pense à elle et à nos jeunes années. C’est un souvenir pour toute la vie”.

Dans les quartiers Nord de Marseille, des mères renouent avec la mer

A Marseille, Karima Kouider côtoyait la Méditerranée sans oser s’y baigner. Une appréhension qu’elle surmonte progressivement avec les cours de natation dispensés par une association des quartiers Nord. Un moyen pour cette maman de “protéger ses minots” et s’amuser.”Mon fils s’est déjà noyé une fois (la noyade n’est pas forcément mortelle, NDLR), je me suis dit qu’il fallait que j’apprenne à nager pour pouvoir le sauver”, confie la mère de cinq enfants.Ce jour-là, Karima, 49 ans, participe avec onze autres femmes à son cours hebdomadaire de natation dans une piscine d’eau de mer à l’Estaque, un quartier du nord de la cité phocéenne.Ce stage gratuit est proposé par l’association Le Grand Bleu, créée en 2000, avec pour objectif “d’aider les Marseillais à se réapproprier la mer”.”On se dit qu’avec ses 57 kilomètres de façade maritime tous les Marseillais doivent savoir nager. Mais ce n’est pas le cas”, constate son fondateur Brahim Timricht.Car si en France un enfant sur deux en moyenne ne sait pas nager, le ratio grimpe à trois sur quatre à Marseille. Et l’écart se creuse encore un peu plus dans les quartiers défavorisés de la deuxième ville de France, en déficit d’équipements publics avec six piscines municipales seulement ouvertes actuellement, selon le site web de la mairie.Mais apprendre à nager est un enjeu de santé publique. Avec 702 noyades dont 193 mortelles du 1er juin au 23 juillet 2025, soit +45% sur un an, la France connaît un été funeste. Parmi les victimes, 27 enfants et adolescents (15 en 2024) sont décédés. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur dénombre le plus grand nombre de noyades, 174, dont 18 mortelles.”Savoir nager, c’est savoir se sauver”, souligne le responsable du Grand Bleu.  Au départ de l’association, les cours étaient destinés aux enfants et adolescents puis est venu “le tour de leurs mamans”, en 2020. “Ce sont des cours ouverts à tous les adultes mais aucun papa ne vient”, constate Brahim Timricht.- “La peur est derrière moi” -Avec ce nouveau public, les instructeurs ont dû réajuster les exercices.”Un enfant a confiance en l’adulte mais elles (les mamans) vont devoir acquérir petit à petit la confiance du maître-nageur”, explique Lucas Foehrle, un des encadrants. “Bien souvent, ces femmes ont des appréhensions liées au passé, des histoires à chaque fois avec l’eau et donc on va devoir les accompagner, leur faire apprécier le milieu et l’effort physique”, ajoute le maître-nageur.Il a fallu aussi franchir quelques obstacles avant que les mamans et jeunes femmes des quartiers populaires puissent s’épanouir dans la pratique d’activités nautiques. La barrière du maillot de bain, la garde d’enfant et l’accès au bord de mer depuis ces quartiers mal desservis sont autant de freins.A Marseille, la fracture territoriale influe aussi sur l’apprentissage de la natation. Dans le Sud, où se concentrent les quartiers résidentiels aisés et le littoral attractif, “les adultes et enfants savent mieux nager”, affirme le directeur du Grand Bleu.”Quand on a des maisons avec des piscines, on peut se payer des cours particuliers, dans le Nord, non, ce sont des barres d’immeubles”, observe l’éducateur sportif. “On est là pour réduire ces inégalités”. A 64 ans, Malika Medibouri vient “tout juste d’apprendre à nager”. “L’argent est une barrière, le loisir passe en second plan”, reconnaît la retraitée. “C’est le bonheur d’apprendre à nager, on se sent libre”, déclare la Marseillaise au sourire lumineux.Comme elle, Nadia Hamada, 60 ans, qui entame son deuxième été consécutif d’apprentissage, n’hésite plus à plonger dans le grand bassin de la base nautique de Corbière qui s’ouvre sur la mer Méditerranée. Son amie tâtonne encore sur le rebord.”Ça fait du bien de nager. Liberté totale !”, se délecte cette mère de six enfants, originaire de Frais-Vallon, un quartier de grands ensembles du 13e arrondissement dans le Nord-Est de Marseille. “Si tu sais nager, tu as confiance. Tu es sûre que tu vas au fond (loin du bord). Tu es sûre que tu vas y arriver tout seule. Mais si tu ne sais pas nager, il y a toujours la peur. Et aujourd’hui la peur est derrière moi”, se réjouit Nadia Hamada qui pratique désormais le kayak et le paddle en mer.

Colombie: l’assignation à résidence de l’ex-président Uribe levée

La justice colombienne a levé mardi l’assignation à résidence de l’ancien président colombien Alvaro Uribe, condamné en première instance pour entrave à la justice et subornation de témoins, dans l’attente de son procès en appel.M. Uribe, 73 ans, qui a gouverné le pays entre 2002 et 2010, a été condamné en août à 12 ans d’assignation à résidence dans la municipalité de Rionegro, à environ 30 kilomètres de sa ville natale, Medellin (nord-ouest).Alvaro Uribe avait été reconnu coupable d’avoir tenté de faire pression sur des témoins pour éviter d’être associé aux milices d’extrême droite ayant livré une guerre sanglante aux guérillas, dans le premier procès visant un ancien président colombien.Il était également poursuivi pour fraude procédurale.La juge en charge du procès avait décidé que sa peine devait entrer “immédiatement” en vigueur afin de l’empêcher de tenter de s’y “soustraire” en quittant son pays.Mais la Cour supérieure de Bogota a jugé que les “critères” de la juge pour “justifier la nécessité” de l’assignation à résidence “étaient vagues, indéterminés et imprécis”.”Merci à Dieu, merci à tous mes compatriotes pour leurs marques de solidarité”, s’est réjoui l’ancien président sur le réseau social X, “je consacrerai chaque minute de ma liberté à la liberté de la Colombie”.De son côté, l’actuel président Gustavo Petro a soulevé des interrogations quant à une possible ingérence des Etats-Unis dans l’affaire Uribe et a dénoncé une “énorme” pression exercée sur la justice.”Je ne comprends pas comment Uribe peut être libre (…) Est-ce cela la justice ?”, a blâmé le premier président de gauche de l’histoire de la Colombie lors d’une réunion avec ses ministres retransmise à la télévision.- Nombreux rebondissements -Lorsque la condamnation de M. Uribe a été rendue publique, le chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio, avait dénoncé une “instrumentalisation du pouvoir judiciaire colombien par des juges radicaux”. Alvaro Uribe, un vieil allié de Washington, avait alors appelé des milliers de personnes à descendre dans la rue pour défendre son innocence.L’enquête contre Alvaro Uribe a connu de nombreux rebondissements, plusieurs procureurs généraux ayant cherché à classer l’affaire.M. Uribe avait accusé en 2012 devant la Cour suprême le sénateur de gauche Ivan Cepeda d’avoir ourdi un complot pour le lier à tort à des groupes paramilitaires impliqués dans le long conflit armé colombien.Cette juridiction a décidé de ne pas poursuivre M. Cepeda et s’est plutôt penchée sur les accusations pesant sur M. Uribe, soupçonné d’avoir contacté d’anciens combattants emprisonnés pour qu’ils donnent de faux témoignages en sa faveur. Cette décision de justice apparaît comme la partie émergée de l’iceberg alors que d’autres enquêtes sont en cours sur les liens de l’ex-chef de l’Etat avec des escadrons d’extrême droite, responsables de nombreux crimes contre des civils pendant le conflit armé.Alvaro Uribe demeure une figure clé de la scène politique en Colombie, où il exerce une grande influence sur la droite, reléguée dans l’opposition depuis que Gustavo Petro a pris ses fonctions en 2022.