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Le Brésil s’attaque à un vaste réseau de blanchiment dans les carburants
Des sommes faramineuses blanchies via des stations-services, puis placées dans des institutions financières: les autorités brésiliennes se sont attaquées jeudi au crime organisé en lançant une vaste opération mobilisant 1.400 agents à travers le pays.Le président Luiz Inacio Lula da Silva a salué “la plus grande riposte de l’Etat brésilien contre le crime organisé de notre histoire”, dans un message publié sur le réseau social X.Les membres de ce gigantesque réseau de fraude et de blanchiment dans la filière des carburants auraient dissimulé l’argent illicite par le biais de placements suspects dans une quarantaine de fonds d’investissement, selon les autorités du plus grand pays d’Amérique latine.Le parquet de Sao Paulo a précisé dans un communiqué que ce réseau blanchissait des fonds du Premier commando de la capitale (PCC), un des principaux groupes criminels du pays.Cette faction née dans les prisons de la capitale économique Sao Paulo est notamment en lien avec la mafia calabraise, la ‘Ndrangheta, pour envoyer de la cocaïne produite en Amérique du Sud vers l’Europe depuis des ports brésiliens.Le crime organisé représente un immense défi pour l’Etat au Brésil, face à de puissantes factions rivales ultra-violentes et qui pénètrent toujours plus profondément l’économie légale.Des agents de divers organes publics ont été mobilisés pour l’opération de jeudi, qui a ciblé 350 personnes ou entreprises dans une dizaine d’Etats, notamment ceux de Rio de Janeiro et Sao Paulo. Cinq personnes ont été arrêtées et 1.500 véhicules, 192 biens immobiliers et deux bateaux saisis, ainsi que 300.000 réais en espèces (environ 47.000 euros), selon un premier bilan officiel.- Carburant frelaté -L’enquête “a permis de suivre toute la chaîne et d’atteindre le noyau financier sur lequel reposent ces pratiques” criminelles, a estimé Lula.D’après le fisc brésilien, les mouvements financiers du réseau de blanchiment ont atteint 52 milliards de réais (environ 8 milliards d’euros) de 2020 à 2024.”La sophistication du crime organisé est telle que nous devons déchiffrer le parcours de l’argent”, a affirmé le ministre des Finances, Fernando Haddad.Dans la mégalopole Sao Paulo, des agents ont mené des perquisitions sur l’avenue Faria Lima, le centre d’affaires du pays où se trouvent les sièges de nombreuses institutions financières.Selon les enquêteurs, le crime organisé s’était infiltré “dans plusieurs maillons de la chaîne de la filière des carburants, de l’importation à la production, la distribution et la commercialisation aux consommateurs”.Les agents ont “identifié des irrégularités dans plus de 1.000 stations-services de dix Etats”.Certains propriétaires ayant vendu leur station à des membres du PCC “n’ont pas reçu le montant de la transaction et étaient menacés de mort s’ils le réclamaient”, a dénoncé le parquet de Sao Paulo.Au-delà du blanchiment, ce “système sophistiqué” générait “des profits de milliards de réais” via la vente de carburant frelaté, produit à partir de méthanol, une substance “hautement toxique et inflammable”, selon les enquêteurs.- “Banque parallèle” -L’argent était placé dans des fintechs, plateformes numériques de services financiers, et non dans des banques traditionnelles, “pour rendre plus difficile sa traçabilité”, selon l’administration fiscale.L’une de ces entreprises faisait office de “banque parallèle”, ayant reçu près de 11.000 dépôts en espèces suspects de 2022 à 2023.Le fisc dit avoir “identifié au moins 40 fonds d’investissements contrôlés” par le crime organisé dans cette enquête, pour un montant total de 30 milliards de réais, soit quelque 4,7 milliards d’euros.Une partie de ces fonds étaient réinvestis dans la filière des carburants, notamment dans l’achat d’usines à éthanol et de 1.600 camions-citerne pour produire et acheminer le carburant vendu dans les stations-services contrôlées par l’organisation criminelle.Le Brésil est le deuxième producteur mondial de biocarburants, selon l’Agence américaine d’information sur l’énergie (EIA).
Au Sénégal, la solidité du duo Diomaye-Sonko à l’épreuve
Accolades, échanges fraternels, sourires… Au Sénégal, le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko semblent avoir retrouvé leur complicité après de premiers signes de tension, sans toutefois dissiper les doutes sur l’avenir de leur duo d’ici la présidentielle de 2029.Le pays est depuis la présidentielle de 2024 dans une situation singulière, avec un président redevable de son poste à son Premier ministre et mentor, à qui le fauteuil serait certainement revenu si sa candidature n’avait été invalidée.Compagnons de route de longue date, M. Sonko, 51 ans, et le président Faye, 45 ans, forment un attelage qui a suscité de nombreux espoir dans le pays, notamment chez les jeunes, après leur triomphe il y a 16 mois au terme de trois années d’un combat commun contre l’ex-pouvoir qui leur a valu d’être emprisonnés.Depuis que M. Faye a nommé M. Sonko Premier ministre, ils se répartissent les tâches – affaires étrangères pour le premier, tout en retenue, affaires intérieures et autres pour le second, dans un style plus clivant – et expriment volontiers leur estime mutuelle. Mais un malaise est récemment apparu au grand jour au sein du duo, qui a remporté la présidentielle dès le premier tour sous le slogan “Sonko mooy Diomaye” (“Sonko c’est Diomaye”). Dans une sortie tonitruante début juillet, le Premier ministre, visage dur et ton menaçant, s’en est vivement pris au président Faye, fustigeant un “problème d’autorité” dans le pays, lors d’une rencontre de leur parti, le Pastef.”Si c’était moi le président, les choses ne se passeraient pas comme ça”, avait-il asséné.A l’origine de cette mésentente, un supposé manque de soutien du président face aux attaques dont M. Sonko, personnage à la fois adulé et honni, dit faire l’objet.L’épisode, qui a laissé craindre une crise au sommet de l’État, a été vite étouffé par le président, qui a assuré n’avoir aucun conflit avec son Premier ministre.- “Malaise profond” -Mais pour beaucoup, le différend demeure toujours malgré les apparences.”Tout indique que c’est un malaise plus profond”, estime Sidy Diop, analyste politique qui note une “véritable rupture” entre le président et la base radicale du Pastef, fidèle à Ousmane Sonko.Depuis la sortie de M. Sonko, M. Faye est sous pression, certains militants du Pastef inondant de messages hostiles chacune de ses publications sur les réseaux sociaux.Parallèlement, plusieurs responsables du parti et des ministres ont affiché leur soutien au Premier ministre, qui reste le président et leader charismatique du Pastef.Sur les réseaux sociaux, un député du Pastef proche du Premier ministre, Guy Marius Sagna, n’a pas hésité à qualifier M. Sonko de “président légitime”, reléguant M. Faye au rang de “président légal”.”On sent carrément qu’il y a désormais deux camps” au sein du parti, observe Samba Oumar Fall, auteur d’un ouvrage sur le duo intitulé “Ruptures et promesses”.S’ils n’affichent aucun différend politique, les deux hommes ont quelques sources de désaccords sur la forme, notent plusieurs observateurs, notamment sur la marche de la justice et le traitement des crimes commis par le pouvoir précédent, mais aussi sur la nomination par M. Faye de certains responsables accusés d’être proches de l’ancien régime. – Pas comme les autres -Cette agitation suscite déjà des interrogations sur le maintien de ce pouvoir bicéphale d’ici la présidentielle de 2029.Alors que cette échéance est encore lointaine, le leader du Pastef a récemment affirmé que “rien ni personne” ne pourrait l’empêcher d’être candidat. Or plus ce rendez-vous va se rapprocher, plus les tensions risquent de s’exacerber, estime l’analyste Sidy Diop.”Rien, absolument rien, ne saurait briser le lien indéfectible qui (les) unit”, balaye de son côté El Malick Ndiaye, un des responsables du parti.Stratège ingénieux et opiniâtre, Ousmane Sonko a été le principal artisan de la victoire du président Faye, longtemps resté dans son ombre. M. Faye est le premier à reconnaître qu’il ne serait pas où il est si son guide ne l’avait poussé en avant quand sa propre candidature avait été invalidée.Cela confère à M. Sonko une légitimité et une force politique qui en font un Premier ministre pas comme les autres, souligne M. Diop.D’un autre côté, Bassirou Diomaye Faye détient le vrai pouvoir et peut se séparer de son chef de gouvernement par un simple décret, ajoute-t-il.Alioune Tine, figure de la société civile, voit dans le duo Faye-Sonko un attelage “très complémentaire”, conscient des multiples défis qui l’attendent comme l’emploi des jeunes, la cherté de la vie ou la relance économique: “Rien ne peut les séparer”.Un divorce entre les deux serait une terrible désillusion pour les Sénégalais, souligne Sidy Diop, selon qui “ils ne peuvent pas se payer le luxe d’une séparation qui ne profiterait à aucun des deux”.


