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La cyberfraude prospère plus que jamais en Birmanie, avec le concours du Starlink de Musk

Elles étaient censées disparaître sous la pression des gouvernements concernés. Mais les usines à arnaquer en ligne des victimes dans le monde entier prospèrent mieux que jamais en Birmanie près de la frontière avec la Thaïlande, révèle une enquête de l’AFP.La construction de ces complexes aux allures de mini-villes ceintes de barbelés et gardées par des hommes en armes continue sans relâche autour de Myawaddy, sur la frontière avec la Thaïlande, montrent des images satellite et des prises de vue réalisées par drones par l’AFP.Ces images mettent en lumière ce qui ressemble à l’utilisation à grande échelle par les fraudeurs du service internet Starlink d’Elon Musk.Ces espèces de centres d’appel d’un autre genre, qui ont proliféré dans les zones inhospitalières dites du Triangle d’Or, emploient de gré ou de force des petites mains. Assises derrière un écran ou un téléphone, elles soutirent chaque année des milliards de dollars à des Chinois, des Américains et autres pigeons à l’autre bout du monde, convaincus de réaliser un juteux investissement ou d’avoir trouvé l’amour.La plupart de ces centres sont sous la coupe de syndicats chinois du crime en cheville avec les milices birmanes qui abondent à la faveur de la guerre civile, disent les experts.La Chine, la Thaïlande et la Birmanie ont entrepris en février un effort commun pour éradiquer le fléau et mis sous pression les milices birmanes pour qu’elles ferment ces centres. Environ 7.000 personnes ont été, selon les points de vue, interpellées ou libérées d’un système brutal.Certaines d’entre elles, originaires d’Asie, d’Afrique ou du Moyen-Orient, ont montré aux journalistes de l’AFP les traces des blessures et des coups qu’ils disent avoir reçus de ceux qui les exploitaient.Sun, un Chinois revendu d’un site à un autre, a raconté son histoire. Elle donne un aperçu du fonctionnement de cette industrie.- Enquête sur Starlink -Un haut responsable policier thaïlandais estimait en mars qu’au moins 100.000 personnes travaillaient encore dans les complexes le long de la frontière birmane.Les images satellite montrent que l’expansion a repris quelques semaines seulement après les descentes de février. Des antennes paraboliques Starlink se sont rapidement multipliées sur les toits pour pallier la coupure d’internet par les autorités thaïlandaises. Près de 80 antennes sont visibles sur un seul toit du plus grand complexe, KK Park, sur les images de l’AFP.Starlink n’est pas agréé en Birmanie. Avant février, Starlink n’avait pas assez de trafic pour figurer sur la liste des fournisseurs d’accès à internet dans ce pays. Fin avril, il était au 56e rang; il est au premier depuis le 3 juillet quasiment tous les jours, indiquent les données du registre internet asiatique APNIC.Des procureurs californiens ont mis en garde Starlink en juillet 2024 contre le fait que des malfaiteurs utilisaient son système, mais n’ont reçu aucune réponse. Des responsables politiques thaïlandais et américains ont exprimé leur inquiétude. La puissante Commission économique conjointe du Congrès américain a dit à l’AFP avoir ouvert fin juillet une enquête sur le rôle joué par Starlink dans le fonctionnement de ces centres.SpaceX, propriétaire de Starlink, n’a pas répondu aux demandes de réaction de l’AFP.”Qu’une entreprise américaine permette une chose pareille est odieux”, dénonce Erin West, ancienne procureure américaine spécialisée dans la cybercriminalité qui a démissionné l’an dernier pour se consacrer pleinement à la lutte contre les réseaux.Les Américains sont parmi les principales victimes, selon le département du Trésor. Ils auraient perdu 10 milliards de dollars l’an dernier, 66% de plus que l’année précédente.Les bandits ont recommencé à construire les centres à un rythme “à couper le souffle”, observe Erin West.- Histoire de casting -La zone proche de Myawaddy paraît héberger 27 centres de cyber-arnaque disséminés le long des méandres de la rivière Moei, qui marque la frontière avec la Thaïlande. Les immeubles y poussent comme des champignons. KK Park s’est agrandi d’une nouvelle section. Le poste de contrôle à l’entrée principale s’est considérablement développé. Au moins cinq nouveaux points de passage sur la rivière ont apparu.L’un de ces passages dessert Shwe Kokko, que le Trésor américain qualifie de “plaque tournante notoire des escroqueries aux investissements en monnaie virtuelle, sous la protection de l’Armée nationale karen”, une milice alliée à la junte birmane.Les zones frontalières entre la Birmanie, la Thaïlande, la Chine et le Laos, connues sous le nom de Triangle d’Or, sont de longue date un foyer de production d’opium et d’amphétamines, de trafic de drogue, de contrebande, de jeux clandestins et de blanchiment.La corruption et le désordre causé par la guerre civile en Birmanie ont permis aux organisations criminelles d’étendre leurs activités.La fraude en Asie du Sud-Est a fait perdre à ses victimes 37 milliards de dollars en 2023, selon un rapport publié l’année dernière par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime.Nombre des personnes extraites des centres en février disent y avoir été emmenées contre leur gré en transitant par la Thaïlande et y avoir été forcées à travailler et battues.D’autres ont déclaré avoir été attirées par la promesse d’emplois bien payés. D’autres encore sont venues de leur plein gré, disent des experts.Pékin a fait pression sur les autorités birmanes et thaïlandaises pour qu’elles sévissent après l’émoi public suscité par le sort de l’acteur Wang Xing. Celui-ci a raconté avoir été enlevé à l’aéroport de Bangkok où il s’était rendu en vue d’un prétendu casting et avoir été emmené dans un centre de cyber-arnaque birman.La justice chinoise a récemment prononcé 11 condamnations fermes à la peine de mort à l’encontre de membres présumés d’un gang se livrant à la cyberfraude de l’autre côté de la frontière avec la Birmanie et responsable de la mort d’au moins 14 personnes, dont une dizaine qui cherchaient à s’enfuir d’un complexe d’arnaque.- Supplier à genoux -Des mois d’enquête dessinent un monde impitoyable peuplé d’individus insaisissables prêts à vendre des êtres ou à négocier leur libération, pour peu que le prix soit le bon, sous l’égide de milices aux intérêts communs ou concurrents.Sun, dont l’AFP préserve l’identité pour sa sécurité, fait partie des milliers de Chinois engloutis par ce gouffre. Ce jeune villageois à la voix douce venu des montagnes du Yunnan relate comment lui et d’autres étaient régulièrement battus à coups de matraque électrique et de fouet s’ils faiblissaient à la tâche ou désobéissaient aux ordres.”Presque tous ceux qui étaient dedans ont été battus à un moment ou à un autre, soit pour avoir refusé de travailler, soit pour avoir tenté de sortir”, rapporte-t-il. Mais, vu la hauteur des clôtures et la présence de miradors et de gardes armés, “il n’y avait aucun moyen de partir” avant l’épilogue de février, pour lui et 5.400 autres Chinois.Les journalistes de l’AFP lui ont parlé au moment de sa sortie du centre, puis au téléphone, puis encore à son retour dans son village isolé.Ses ennuis ont commencé en juin 2024 quand il a quitté son village pauvre situé à une centaine de kilomètres de la Birmanie, se rappelle-t-il. Il avait déjà un enfant et la famille en attendait un autre. Le jeune homme de 25 ans avait entendu dire qu’il était possible de gagner de l’argent en vendant des produits chinois en ligne via la Thaïlande. “On m’a dit que c’était très rentable.”Le voyage a viré au cauchemar à Mae Sot, ville frontalière thaïlandaise. Sun raconte y avoir été enlevé et transféré, par la rivière Moei, à Myawaddy vers ses centres d’escroquerie. Il se souvient avoir été “terrifié”. “Je n’arrêtais pas de les supplier à genoux de me laisser partir.”A Myawaddy, il a été emmené dans un camp de miliciens. Il y a été vendu pour 650.000 bahts thaïlandais (20.000 dollars) à un centre de cyberfraude, la première d’une série de transactions analogues. On lui a ordonné de faire des exercices de frappe pour accélérer sa vitesse d’écriture. Mais Sun est atteint d’une déformation du doigt qui le ralentissait et attirait les foudres de ses supérieurs.- Filatures -Son handicap lui a valu d’être confiné à des tâches subalternes et revendu de centre en centre, jusqu’au dernier, d’où il a réellement envoyé des messages à des gogos aux États-Unis, raconte-t-il. Une fois les victimes ferrées, il passait la main à des fraudeurs plus aguerris chargés de parachever l’ouvrage.Les centres fournissent à leurs petites mains des mémentos pour remplir leur tâche. Un texte de 26 pages suggère au fraudeur d’adopter le personnage d’Abby, une Japonaise de 35 ans en mal d’amour, pour séduire l’interlocuteur en ligne. “Je sens que nous sommes faits l’un pour l’autre”, peut dire Abby à son correspondant.C’est une industrie entourée d’une grande opacité, que les relations complexes de la Chine et de la Thaïlande avec le régime militaire birman et divers groupes, rebelles ou non, n’aident pas à dissiper. Beaucoup de ces groupes se livrent à l’exploitation minière et forestière et à la production de drogue.Les gangs emploient dans ces centres une main-d’œuvre quasiment réduite à l’esclavage aussi bien que des programmeurs qualifiés grassement payés, décrit David Scott Mathieson, grand connaisseur de la Birmanie, un ancien de Human Rights Watch.Les autorités chinoises traitent les personnes comme Sun comme des “suspects”. L’AFP a confirmé les principaux aspects de son récit en consultant plusieurs experts. Mais d’autres éléments ont été plus difficiles à corroborer. Les autorités thaïlandaises n’ont pas fourni d’informations.En Chine, les journalistes de l’AFP ont été suivis par plusieurs voitures banalisées alors qu’ils allaient voir Sun dans son village, à trois heures de la ville la plus proche, Lincang. Quelques minutes après le début de l’entretien, un groupe de fonctionnaires est arrivé pour, ont-ils expliqué, l’emmener “vérifier” qu’il allait bien. À son retour une demi-heure plus tard, il a refusé de s’exprimer davantage.Les semaines précédant son extraction du centre, Sun se demandait s’il arriverait à échapper un jour aux violences, aux menaces et aux corvées. “Je pensais à la possibilité (de mourir…) presque tous les jours”, confie-t-il.L’AFP a obtenu la copie d’un “contrat de travail” interdisant au personnel d’un centre de chatter ou de quitter son poste, et autorisant l’encadrement à “former” ceux qui enfreignent les règles.- Le désespoir des proches -La Chine met en garde ses citoyens depuis des années contre la cyberfraude, qu’il s’agisse des arnaques en ligne ou des offres d’emploi crapuleuses. Mais un flux constant de Chinois disparaît encore. Leurs proches se lancent désespérément à leur recherche, s’exposant eux-mêmes à de sombres agissements.Fang, originaire du Gansu, dans le nord-ouest de la Chine, raconte que son frère de 22 ans, en décrochage scolaire, s’est volatilisé en février dans le Yunnan, à la frontière birmane. Son frère avait probablement des soucis financiers et s’est rendu à Xishuangbanna, près de la frontière du Triangle d’Or, pour s’adonner au trafic d’or et de montres, pense-t-elle.Elle est à présent convaincue qu’il a été attiré là-bas et forcé de passer en Birmanie. Les relevés téléphoniques le localisent pour la dernière fois dans la région de Wa, bastion du groupe ethnique le plus important et le mieux armé de Birmanie.Comme d’autres membres de sa famille, elle se sent impuissante malgré ses appels à l’aide aux autorités chinoises. “C’est le petit dernier de la famille”, explique-t-elle. “Ma grand-mère, atteinte d’un cancer en phase terminale, pleure tous les jours à la maison.”Fang dit avoir rejoint sur la messagerie chinoise WeChat plusieurs groupes de personnes à la recherche de proches disparus près de la frontière avec la Birmanie. Elle a été approchée par des “sauveteurs” auto-proclamés lui proposant leurs services.L’AFP a contacté plus d’une douzaine de ces personnages faisant la promotion de leurs activités sur les plateformes Xiaohongshu et Kuaishou. Beaucoup semblaient avoir eux-mêmes travaillé dans les centres de cyberfraude et se prévalaient de leurs liens avec des trafiquants.Ils ont assuré pouvoir actionner des relais dans les centres ou parmi les “têtes de serpent”, des passeurs de mèche avec les centres. La plupart ont évoqué le paiement de rançons équivalant à des dizaines de milliers de dollars, en fonction du centre où se trouverait la personne disparue et d’éventuelles dettes qu’elle aurait auprès du gang.- Soudain sauvetage -Certains de ces “sauveteurs” ont affirmé ne pas prendre d’argent pour eux-mêmes. D’autres au contraire ont exposé clairement la part leur revenant et celle revenant à des intermédiaires.L’un d’eux, se présentant sous le nom de Li Chao, dit gagner des milliers de yuans par mois (1 yuan = 0,12 euro) en organisant des sauvetages au Cambodge – autre plaque tournante pour la fraude et le blanchiment – en repérant les camps et en escamotant les fugitifs en voiture de location. C’est un travail rémunérateur, mais “il y a aussi des risques pour moi”, déclare-t-il.Ling Li, chercheuse sur l’esclavage moderne aux commandes d’une ONG de lutte contre la traite des êtres humains, s’émeut que des gens comme Li Chao lui “compliquent” la tâche.Son organisation aide les familles à rechercher des travailleurs en Birmanie et au Cambodge en contactant la police et en négociant des rançons.De nombreux “sauveteurs” sont eux-mêmes des escrocs ou facturent des sommes faramineuses pour des extractions qui, souvent, ne se concrétisent jamais, déclare-t-elle. “Les familles peuvent facilement se faire rouler par des opportunistes.”Certains proches ont versé des milliers de yuans pour rien, abonde Fang. Les sauveteurs “prétendent avoir des relations, en réalité il ne s’agit que d’une arnaque de plus”, tranche-t-elle.Sun a été extrait le 12 février. Il réparait des téléphones ce matin-là quand un groupe d’hommes armés est arrivé et les a entassés, lui et des dizaines d’autres, dans des pickups qui les ont les conduits vers un camp de miliciens. Quelques heures après, il était dans un bateau pour la Thaïlande.”Jamais je n’aurais imaginé être sauvé aussi soudainement”, dit-il. Dix jours plus tard, on l’a embarqué dans un avion à destination de Nanjing, en Chine, encadré par des policiers.- “État ennemi” -Sun fait partie des milliers de personnes arrêtées lors de l’opération conjointe de février entre la Chine, la Thaïlande et deux anciens groupes rebelles karens à présent alliés à l’armée birmane parmi les différentes milices opérant autour de Myawaddy.Les fraudeurs sévissent dans un “environnement très permissif, avec l’autorisation des milices birmanes affiliées à la junte”, commente un récent rapport du groupe de réflexion Australian Strategic Policy Institute, en partie financé par le ministère de la Défense australien.Si de violents combats opposent souvent des groupes rivaux près des centres, ces derniers n’auraient jamais été touchés, note le rapport. Personne ne veut mettre en péril les “profits bruts générés par l’industrie de l’escroquerie”, ajoute-t-il.Pékin assure que son action témoigne de son engagement “résolu” à enrayer cette calamité. Mais Nathan Ruser, auteur du rapport de l’Australian Strategic Policy Institute, et d’autres experts, affirment que des opérations comme celle de février ne font que perturber temporairement les réseaux criminels.”Tant que la junte militaire de Rangoun favorisera et alimentera cette industrie, je pense que cela restera un jeu du chat et de la souris”, estime Nathan Ruser. De nouveaux centres “surgiront ailleurs”, prédit-il.Sun insiste sur le fait qu’il a été forcé de travailler dans les centres et n’a jamais escroqué personne. Traumatisé, épuisé et toujours en liberté sous caution, il trouve le “fardeau mental” de son calvaire difficile à supporter.Pékin n’a pas précisé comment il comptait traiter ceux qui ont travaillé dans les centres. Des experts font valoir que nombre d’entre eux minimisent leur implication pour échapper à la sanction.La société chinoise éprouve peu de compassion pour eux, quoi qu’ils aient fait, selon la chercheuse Ling Li. “On vous jugera pour votre cupidité et votre stupidité”, résume-t-elle.Mais les gouvernements ont fait preuve d’une “négligence insensée” face à la gravité du problème, accuse l’experte Erin West. “On nous vole la valeur d’une génération de richesse”, dénonce-t-elle. “Je ne sais pas comment nous allons y mettre fin. C’est devenu bien trop grand, comme un État ennemi”.isk-mjw-sjc-fg/lal/dp/ib/tmt

Milei chez Trump pour sceller l’aide financière américaine à l’Argentine

Le président ultralibéral argentin Javier Milei doit être reçu mardi à la Maison blanche par son allié idéologique Donald Trump pour sceller l’aide américaine annoncée il y a quelques jours, oxygène à la fois pour l’économie argentine et son président, malmenés à deux semaines d’une élection clef.Le Trésor américain a annoncé jeudi une aide financière, sous forme d’un échange bilatéral de devises, dit “swap”, pour 20 milliards de dollars, et d’une intervention américaine directe sur le marché des changes, pour acheter et soutenir un peso sous pression, soulageant les réserves de la Banque centrale argentine.L’annonce chiffrée, qu’avait précédé fin septembre une première promesse de soutien du Trésor de faire “tout le nécessaire”, a eu un effet dopant sur la monnaie argentine.Après une dégringolade la semaine dernière, il s’est raffermi juste après l’annonce de Scott Bessent, secrétaire américain au Trésor, et poursuit lundi sa remontée: à 1.370 pesos pour un dollar au taux officiel, contre 1.490 jeudi, soit un gain de plus de 8% en quatre jours.La présidence argentine n’a pas donné de détails sur la visite de M. Milei, qui voyageait lundi, autre qu’une réunion suivie d’un déjeuner de travail avec Donald Trump.Sans pour autant garantir d’annonces depuis Washington, Javier Milei a indiqué dans une interview radio lundi que “si certaines choses sont conclues, elles feront l’objet d’annonces. Sinon, ce sera pour plus tard”.Le soutien américain intervient à un moment critique pour Javier Milei. Dans quelques jours, le 26 octobre, il fait face à des législatives de mi-mandat indécises, qui vont déterminer sa marge de manœuvre parlementaire, sa capacité à gouverner pour ses deux ans restant de présidence. L’incertitude liée au scrutin -et au maintien ou non du cap d’austérité de Javier Milei- avait mis l’économie argentine, la 3e d’Amérique latine, à la merci de turbulences financières ces dernières semaines.- Encore une “passerelle” financière -“Les Etats-Unis ont perçu cette attaque contre l’Argentine, contre les idées de liberté, contre un allié stratégique, et c’est pourquoi ils nous ont apporté leur soutien”, a estimé M. Milei lundi.Pour l’économiste et ancien président de la Banque centrale Martin Redrado, il s’agit purement “d’une assistance financière, une nouvelle passerelle”, venant après l’aide du FMI en avril (prêt de 20 milliards), “qui apporte de la tranquillité financière d’ici à l’élection”.”Mais l’Argentine ne peut pas aller de passerelle en passerelle”, estime-t-il, d’où l’importance après l’élection “d’armer un programme législatif s’attaquant aux problèmes de production et d’emploi”, dans un pays à plus de 40% d’emploi informel, et où le formel ne croit plus depuis 2011.Au-delà de la probable empathie idéologique entre les deux présidents, la presse argentine se demandait ces derniers jours quelles pouvaient être les contreparties à l’aide américaine.Un accès privilégié d’investisseurs américains aux ressources minières argentines, tels le lithium, l’uranium ? Une prise de distance d’avec la Chine, l’imposant deuxième partenaire commercial de l’Argentine (après le Brésil) ? Un assouplissement du régime de changes ?Javier Milei, à plusieurs reprises, a nié que les Etats-Unis aient demandé la fin de l’accord d’échange de devises existant déjà entre l’Argentine et la Chine -et renouvelé en 2024- en contrepartie du swap avec les Etats-Unis.”C’est faux, ils ne l’ont pas demandé. La raison pour laquelle nous recevons ce soutien est géopolitique”, affirmait-il y a deux semaines.”Les Etats-Unis ont décidé d’être leader sur le continent américain”, a-t-il insisté lundi. Et dans ce cadre, ils “savent que nous sommes un véritable allié, pas de circonstance”.L’ambassade de Chine en Argentine a réagi ce week-end à des propos prêtés à Scott Bessent sur les relations entre l’Argentine et la Chine, estimant que les Etats-Unis “doivent comprendre que l’Amérique latine et les Caraïbes ne sont le jardin de personne”, et “ont le droit de choisir librement leurs partenaires”.Vendredi, la présidence argentine a annoncé que l’entreprise américaine OpenAI, créatrice de ChatGPT, a signé une lettre d’intention pour construire un mégacentre de données pour l’intelligence artificielle en Patagonie, un projet d’investissement de 25 milliards de dollars.

Nouveau vol test réussi de la mégafusée Starship d’Elon Musk

La mégafusée Starship que construit SpaceX, l’entreprise d’Elon Musk, pour aller sur la Lune et Mars a mené lundi un nouveau vol test réussi, mais qui pourrait ne pas suffire à faire taire les critiques, des experts s’inquiétant des retards pris dans son développement.Ce mastodonte métallique de plus de 120 m de hauts, soit l’équivalent d’un immeuble d’environ 40 étages, s’est élevé dans un épais nuage de fumée en début de soirée au Texas.Après que les deux étages de la fusée se sont séparés dans les airs, SpaceX a mené avec succès plusieurs tests et manoeuvres sur le propulseur et le vaisseau avant qu’ils ne finissent leur course dans les eaux comme convenu, sous les applaudissements nourris des ingénieurs assistants à une retransmission sur écrans géants.Ce onzième vol test, mené tout en maîtrise comme le précédent en août, permet à l’entreprise américaine d’aller de l’avant, après une série noire d’essais début 2025 marqués par des explosions en vol.- Rivalités spatiales -Mais ce succès n’efface pas les inquiétudes croissantes concernant l’état d’avancement de la fusée, censée effectuer ses premiers vols vers Mars en 2026 et permettre le retour des Américains sur la Lune en 2027.Selon la récente analyse d’un panel d’experts indépendants, la version modifiée de Starship devant servir d’alunisseur pourrait avoir “des années” de retard, ce qui repousserait encore le calendrier du programme Artémis de la Nasa.Et fait ainsi courir le risque que les Etats-Unis ne soient devancés par la Chine, puissance rivale qui ambitionne aussi d’envoyer des hommes sur la Lune d’ici 2030.En l’état des choses, “il est très improbable que nous allions sur la Lune avant la Chine”, a prévenu en septembre Jim Bridenstine, ancien patron de la Nasa, devant une commission sénatoriale, exhortant Washington à élaborer un plan B.L’enjeu est d’autant plus important que l’administration Trump évoque ouvertement une “nouvelle course à l’espace”, cette fois face à la Chine, en écho à celle menée contre l’URSS pendant la Guerre froide.- “Milliers de défis techniques” -Malgré les critiques, Elon Musk, qui est connu pour ses prévisions très optimistes, continue d’afficher sa confiance dans cette mégafusée, la plus puissante jamais construite, bien qu’il reste encore de son propre aveu “des milliers de défis techniques” à surmonter.L’homme le plus riche du monde et ancien proche conseiller du président américain Donald Trump a déjà révolutionné le secteur spatial avec ses fusées réutilisables produites à la chaîne, et domine aujourd’hui le marché des lancements commerciaux.Avec Starship, pensée pour les voyages interplanétaires, il vise encore plus loin, en cherchant à démontrer des manoeuvres techniques encore jamais réalisées.Après avoir réussi il y a un an à récupérer, à l’atterrissage, le propulseur de la fusée grâce à de gigantesques bras mécaniques, il espère réussir prochainement à rattraper le vaisseau et à ravitailler sa fusée en carburant dans l’espace.Autant de paris techniques qu’il entend relever grâce au lancement répété de multiples prototypes.Une méthode qui a fait son succès jusqu’ici, mais qui pourrait se heurter cette fois aux contraintes du programme lunaire américain, d’autant qu’Elon Musk a plusieurs fois exprimé sa volonté de privilégier la planète rouge, son obsession personnelle, au détriment de la Lune.

Pour les derniers réfugiés nord-coréens de Gyodong, espoirs perdus et douleur intacte

Après s’être prosterné devant l’autel et avoir déposé en offrande des fruits et un poisson séché, Ryh Jae-hong lance d’un grand geste le contenu d’un gobelet d’alcool vers l’épaisse clôture barbelée qui protège l’île sud-coréenne de Gyodong de la Corée du Nord voisine.En cette période de Chuseok, grande fête familiale d’automne, nombreux sont les Sud-Coréens ayant des ancêtres restés au Nord qui accomplissent ce rituel funéraire devant des autels érigés à cet effet à la frontière, faute de pouvoir accéder aux tombes.Sur l’île de Gyodong, cet autel, le Manghyangdae, se dresse à la pointe nord. A deux kilomètres, passées les eaux grises du fleuve Han, des paysans travaillent la terre sous des drapeaux rouges. Et un slogan en lettres géantes sur une colline proclame: “longue vie au socialisme!””Ils sont là-bas, j’espère simplement qu’ils vont bien”, dit sobrement M. Ryh, dont le père a fui au Sud à la fin de la guerre de Corée (1950-1953) au contraire de sa grand-mère et d’autres parents qui, restés dans le pays communiste, n’ont plus jamais donné de nouvelles.L’île de Gyodong a accueilli des milliers de déplacés pendant la guerre. A l’arrivée des troupes chinoises alliées des Nord-Coréens dans le bourg de Yeonbaek, beaucoup d’habitants sont simplement partis à Gyodong en traversant le fleuve, comme ils avaient depuis toujours l’habitude de le faire en bateau ou même à la nage. Sans se douter que cette traversée serait leur dernière.Pendant sept décennies, ces déplacés n’ont eu pour se consoler que les hirondelles, nombreuses à Gyodong où une légende voit en elles des messagères entre les deux Corées par-dessus les barbelés. Les longues-vues installées au Manghyangdae sont pour eux le seul moyen de voir leurs anciennes maisons, derrière la frontière la plus hermétique du monde.La plupart des réfugiés de première génération se sont éteints. Pour la poignée encore en vie, le chagrin est intact.- “Peuple au cœur brisé” -“Nous sommes un peuple au cœur brisé”, affirme Chai Jae-ok, 94 ans. “Même si nous vivons aujourd’hui dans l’abondance, mes parents, mes frères et sœurs sont tous restés en Corée du Nord. Moi, je suis venu au Sud et j’ai dû les abandonner. A quoi bon vivre dans le luxe si je ne peux pas les revoir? Jour et nuit, je n’ai cessé de crier et d’espérer la réunification”, dit-il.”Avant que mes yeux ne se ferment pour toujours, j’aimerais la voir se réaliser.”Un rêve pour le moment impossible. Si Pyongyang a récemment exprimé son intérêt à renouer le dialogue avec Washington, il a clairement fait savoir qu’il ne voulait plus jamais parler à la Corée du Sud, désormais qualifiée d'”Etat hostile” et avec qui la séparation est irréversible.Le Nord a même démantelé toutes ses institutions dédiées à une éventuelle réunification et dynamité les routes et voies ferrées intercoréennes, construites pendant les périodes de détente des années 2000.- “Y a-t-il douleur plus grande ?””Mon seul vœu est que, même si la réunification n’a pas lieu de mon vivant, un échange entre le Nord et le Sud me permette au moins de me recueillir sur la tombe de mes parents”, poursuit M. Chai. “Elle n’est qu’à six kilomètres d’ici. En voiture, cela prendrait à peine dix minutes. Y a-t-il douleur plus grande?”Min Ok-sun, 92 ans, a elle laissé ses parents et quatre frères au Nord. “J’ai quitté ma terre natale à 17 ans et je ne les ai jamais revus”, dit-elle.A Gyodong, elle a épousé un autre réfugié, Kim Ching-san, ancien combattant chargé de missions d’infiltration au Nord maintenant âgé de 96 ans.”Quand je vois des oiseaux retourner à leur nid au coucher du soleil, je me dis que nous, les humains, avons aussi ce besoin de retourner chez nous. C’est notre instinct”, dit M. Kim.”Ma femme et moi, on a des façons différentes de gérer la nostalgie du pays natal. Elle trouve du réconfort dans des choses simples, comme se blottir sous une couverture. Moi, je ne peux pas oublier. Chaque jour, je me bats intérieurement, comme si j’étais encore en guerre. C’est pourquoi je parais plus vieux qu’elle.”Les jours de fête, les réfugiés et d’autres personnes âgées de Gyodong se rassemblent pour chanter à tue-tête de vieilles balades coréennes datant de l’occupation japonaise (1910-1945).”Ce sont des chansons que tout le monde, au Sud comme au Nord, connaissait avant la division”, explique Chang Gwang-hyuck, le bénévole qui anime ces séances et dont le grand-père venait lui aussi du Nord. “Elles reflètent les aspirations et les émotions du peuple de l’époque.””Ce que ces personnes âgées désirent le plus, c’est apaiser leur nostalgie”, poursuit M. Chang. “Quand je vois ces personnes qui ont quitté leur foyer à 20 ans et n’ont jamais pu y retourner, je ressens une profonde tristesse.”

Venezuela: “avec on sans négociation”, Maduro “quittera le pouvoir”, promet la prix Nobel Machado

La prix Nobel de la paix 2025 Maria Corina Machado s’est dite convaincue lors d’un entretien par visioconférence avec l’AFP lundi que le président vénézuélien Nicolas Maduro “quittera le pouvoir avec ou sans négociation”, rappelant que des “garanties” lui avaient été proposées. La cheffe de l’opposition vénézuélienne, 58 ans, qui est entrée dans la clandestinité quelques jours après la présidentielle de 2024, estime que sa récompense et le déploiement américain sont un “coup fatal” pour le pouvoir.Washington a déployé en août huit navires de guerre au large des côtes du Venezuela. L’administration Trump a frappé en mer au moins quatre embarcations qu’elle a présentées comme étant celles de narcotrafiquants, pour un bilan d’au moins 21 morts. Plusieurs sources proches du pouvoir américain font état de frappes imminentes visant le territoire vénézuélien. – “Avec ou sans négociation” -“Maduro a en ce moment la possibilité d’avancer vers une transition pacifique. (…) Avec ou sans négociation, il quittera le pouvoir”, a-t-elle lancé. “Nous avons dit être prêts à offrir des garanties, que nous ne rendrons pas publiques tant que nous ne serons pas assis à cette table de négociation. S’il insiste, les conséquences seront directement de sa responsabilité. De personne d’autre”, prévient-elle.”Ils (le pouvoir) sont conscients que nous sommes dans une phase finale et décisive (…) Ces dernières heures, plusieurs camarades ont été arrêtés, la répression augmente. C’est une façon d’essayer de paraître forts parce qu’ils savent que tout ce qui se passe (déploiement et prix Nobel) est un coup fatal”, assure Mme Machado.”Le monde entier sait qu’ils ont été battus à plate couture. Nous avons démontré notre triomphe”, ajoute-elle à propos de la présidentielle de 2024. L’opposition qui a collecté les procès-verbaux des bureaux de vote assure avoir prouvé la fraude du pouvoir. Le conseil national électoral, considéré aux ordres de Maduro, l’a déclaré vainqueur, sans publier de chiffres détaillés, affirmant avoir été victime d’une attaque informatique. – Intervention américaine -“Je ne vais pas spéculer”, a-t-elle réagi sur le déploiement américain. “Celui qui a déclaré la guerre aux Vénézuéliens, c’est Nicolas Maduro”.”Je l’ai répété d’innombrables fois: sans liberté, il n’y a pas de paix et sans force, il n’y a pas de liberté quand tu fais face à une structure narco-terroriste. Nous avons tout essayé”, a-t-elle néanmoins souligné.”L’invasion qui existe ici est celle des Cubains, des Russes, des Iraniens (alliés traditionnels de Caracas), du Hezbollah, du Hamas, des cartels de la drogue, de la guérilla des Farc”, accuse-t-elle.”Nous, les Vénézuéliens, nous n’avons pas d’armes à feu, nous avons la parole, nous avons l’organisation citoyenne, nous avons la pression, nous avons la dénonciation”, dit-elle.- Relations avec Trump et les Etats-Unis -Mme Machado qui a dédié son prix au “peuple vénézuélien qui souffre” mais aussi au président américain souligne que c’est “reconnaître au président Trump ce que nous considérons juste et nécessaire (…) C’est pour lui transmettre à quel point le Venezuela a besoin de son leadership et de la coalition internationale qui s’est formée”.”Nous avons un grand respect et une communication fluide (avec Washington), comme j’en ai avec de nombreux autres gouvernements”, confie Mme Machado. Elle a refusé d’évoquer la périodicité des contacts ou la lutte d’influence que se livrent, selon les médias, le secrétaire d’Etat Marco Rubio et l’envoyé spécial Richard Grenell.- “Corruption et répression” -“L’argent, lorsqu’il leur parvient (au pouvoir) passe d’abord dans la corruption. C’est le plus grand pillage de l’histoire de l’humanité. En deuxième lieu, (l’argent) va à la répression. (…) Mais il n’y pas d’argent pour les médicaments, les enseignants, les services publics, les personnes âgées”, assure Mme Machado.- Armée -“Il faut offrir des garanties, et ceux qui facilitent une transition en auront (…) Ce message, nous l’avons adressé à toute la structure des Forces armées, aux corps policiers et aux employés publics”, dit-elle.Imagine-t-elle un soulèvement ? “Nous avons tous – civils, militaires – un rôle à jouer et, dans tous les cas, toute action qui respecte (la victoire revendiquée par l’opposition à la présidentielle) le 28 juillet serait le rétablissement de la Constitution”.- Son avenir -“Notre président élu (Edmundo Gonzalez Urrutia, selon l’opposition) a déclaré qu’il souhaite que je l’accompagne en tant que vice-présidente”, a déclare Mme Machado, qui n’avait pu se présenter car déclarée inéligible. “Je serai là où je pourrais être le plus utile à notre pays”. A propos de sa clandestinité, elle affirme ne “pas compter les jours, mais soustraire ceux qui restent, parce que je ne doute pas une seule seconde que nous sommes dans un compte à rebours”.

Plaidoiries des avocats des proches de Delphine Jubillar après d’ultimes dénégations de son mari

Face à un Cédric Jubillar resté jusqu’au bout fidèle à ses dénégations, les avocats des proches de Delphine, son épouse disparue fin 2020, débutent mardi leurs plaidoiries devant la cour d’assises du Tarn.Le dernier interrogatoire de l’accusé s’est achevé après environ huit heures de questions réparties entre vendredi et lundi, sans qu’à aucun moment le peintre-plaquiste de 38 ans ne dévie de sa ligne: il n’a aucun lien avec la disparition de son épouse, dont il est soupçonné du meurtre.Lundi après-midi cependant, après qu’un expert psychiatre a assuré que Cédric Jubillar était “peu déstabilisable”, les mouvements corporels de l’accusé, récurrents depuis le début de son procès, étaient de plus en plus marqués dans son box vitré.Les “tout à fait” répétitifs, ainsi que les “si vous le dites” ou les “peut-être, mais je n’en ai pas le souvenir” sonnaient un peu différemment, à force de répétitions face à l’avalanche de questions de la présidente, des avocats généraux et des représentants des parties civiles pointant des contradictions entre les propos de l’accusé à l’audience et ses déclarations face aux enquêteurs.Mes Emmanuelle Franck et Alexandre Martin, les défenseurs de Cédric Jubillar, se sont très peu exprimés tout au long de cette dernière journée d’audition de leur client, critiquant seulement l’imprécision des questions qui lui étaient adressées.- “Aussi tendus que lui” -“Vous êtes pratiquement aussi tendus que lui, laissez donc votre client répondre à mes questions”, leur a ainsi lancé Laurent Boguet, l’un des avocats des enfants du couple.”Cédric Jubillar s’est exprimé comme il le fait depuis le début de cette procédure, pour dire et répéter qu’il est innocent de ce qu’on lui reproche”, a insisté Me Martin, à l’issue de la journée de lundi.Si contradictions il y a eu dans ses déclarations, elles ne portent “que sur des points de détail”, a jugé son conseil, tandis que “sur les éléments essentiels du dossier (…) il ne s’est jamais contredit”.Les deux avocats de l’accusé ont indiqué qu’ils n’étaient “pas là pour démontrer l’innocence” de leur client mais “pour combattre des charges que l’on nous avance comme des preuves de culpabilité”, la charge de la preuve dans un procès pénal revenant à l’accusation.Ils ont indiqué qu’ils réservaient dorénavant leurs “propos à la plaidoirie”.C’est désormais à leurs adversaires de l’autre côté de la barre de prendre la parole, comme le prévoit le code de procédure pénale.Cédric Jubillar “est enferré dans sa logique qui consiste effectivement, coûte que coûte et en dépit des évidences, à protester de son innocence”, a déclaré lundi soir devant la presse Me Boguet qui s’exprimera en dernier, après ses huit collègues des parties civiles.- “Contradictions et incohérences” -Il “a bunkerisé et bétonné sa position”, a-t-il estimé, même si “nous avons été quelques-uns à le solliciter, à chercher à le pousser dans ses retranchements en avançant les contradictions et les incohérences qui pouvaient résulter de son récit”.Me Mourad Battikh, avocat de plusieurs cousins, tantes et oncles de la disparue, a de son côté dit avoir vu lundi “un homme stressé, un homme qui s’accrochait et qui s’agrippait à la barre, tremblant, l’air vraiment déboussolé”.”Je crois que c’est un effort particulier qui lui est demandé, puisqu’il doit mentir à chacune des questions qui lui est posée, c’est un exercice qui sollicite beaucoup d’énergie, beaucoup de concentration. On a senti qu’il était dans le mensonge permanent”, a-t-il déclaré.”Il a une série de réponses types qu’il enfile les unes après les autres et qui lui permettent de répondre, effectivement, ou de s’abstenir de répondre”, a de son côté analysé Laurent de Caunes, autre avocat des parties civiles.”La victime n’est pas là, il faut essayer de la faire exister, je ne dis pas de la faire revivre malheureusement, mais au moins de susciter sa personne, de susciter sa mémoire, pour rééquilibrer les choses”, a ajouté celui qui défend les intérêts des frères et de la soeur de Delphine Jubillar avec l’un de ses confrères.Les plaidoiries des parties civiles sont prévues jusqu’à mercredi. Prendront ensuite la parole les avocats généraux et la défense. L’accusé s’exprimera en dernier avant que la cour et les jurés ne se retirent pour délibérer, pour un verdict attendu vendredi.

La cyberfraude prospère plus que jamais en Birmanie, avec le concours du Starlink de Musk

Elles étaient censées disparaître sous la pression des gouvernements concernés. Mais les usines à arnaquer en ligne des victimes dans le monde entier prospèrent mieux que jamais en Birmanie près de la frontière avec la Thaïlande, révèle une enquête de l’AFP.La construction de ces complexes aux allures de mini-villes ceintes de barbelés et gardées par des hommes en armes continue sans relâche autour de Myawaddy, sur la frontière avec la Thaïlande, montrent des images satellite et des prises de vue réalisées par drones par l’AFP. Ces images mettent en lumière ce qui ressemble à l’utilisation à grande échelle par les fraudeurs du service internet Starlink d’Elon Musk.Ces espèces de centres d’appel d’un autre genre, qui ont proliféré dans les zones inhospitalières dites du Triangle d’Or, emploient de gré ou de force des petites mains. Assises derrière un écran ou un téléphone, elles soutirent chaque année des milliards de dollars à des Chinois, des Américains et autres pigeons à l’autre bout du monde, convaincus de réaliser un juteux investissement ou d’avoir trouvé l’amour.La plupart de ces centres sont sous la coupe de syndicats chinois du crime en cheville avec les milices birmanes qui abondent à la faveur de la guerre civile, disent les experts.La Chine, la Thaïlande et la Birmanie ont entrepris en février un effort commun pour éradiquer le fléau et mis sous pression les milices birmanes pour qu’elles ferment ces centres. Environ 7.000 personnes ont été, selon les points de vue, interpellées ou libérées d’un système brutal. Certaines d’entre elles, originaires d’Asie, d’Afrique ou du Moyen-Orient, ont montré aux journalistes de l’AFP les traces des blessures et des coups qu’ils disent avoir reçus de ceux qui les exploitaient.Sun, un Chinois revendu d’un site à un autre, a raconté son histoire. Elle donne un aperçu du fonctionnement de cette industrie.- Enquête sur Starlink -Un haut responsable policier thaïlandais estimait en mars qu’au moins 100.000 personnes travaillaient encore dans les complexes le long de la frontière birmane.Les images satellite montrent que l’expansion a repris quelques semaines seulement après les descentes de février. Des antennes paraboliques Starlink se sont rapidement multipliées sur les toits pour pallier la coupure d’internet par les autorités thaïlandaises. Près de 80 antennes sont visibles sur un seul toit du plus grand complexe, KK Park, sur les images de l’AFP.Starlink n’est pas agréé en Birmanie. Avant février, Starlink n’avait pas assez de trafic pour figurer sur la liste des fournisseurs d’accès à internet dans ce pays. Fin avril, il était au 56e rang; il est au premier depuis le 3 juillet quasiment tous les jours, indiquent les données du registre internet asiatique APNIC.Des procureurs californiens ont mis en garde Starlink en juillet 2024 contre le fait que des malfaiteurs utilisaient son système, mais n’ont reçu aucune réponse. Des responsables politiques thaïlandais et américains ont exprimé leur inquiétude. La puissante Commission économique conjointe du Congrès américain a dit à l’AFP avoir ouvert fin juillet une enquête sur le rôle joué par Starlink dans le fonctionnement de ces centres.SpaceX, propriétaire de Starlink, n’a pas répondu aux demandes de réaction de l’AFP.”Qu’une entreprise américaine permette une chose pareille est odieux”, dénonce Erin West, ancienne procureure américaine spécialisée dans la cybercriminalité qui a démissionné l’an dernier pour se consacrer pleinement à la lutte contre les réseaux.Les Américains sont parmi les principales victimes, selon le département du Trésor. Ils auraient perdu 10 milliards de dollars l’an dernier, 66% de plus que l’année précédente.Les bandits ont recommencé à construire les centres à un rythme “à couper le souffle”, observe Erin West.- Histoire de casting -La zone proche de Myawaddy paraît héberger 27 centres de cyber-arnaque disséminés le long des méandres de la rivière Moei, qui marque la frontière avec la Thaïlande. Les immeubles y poussent comme des champignons. KK Park s’est agrandi d’une nouvelle section. Le poste de contrôle à l’entrée principale s’est considérablement développé. Au moins cinq nouveaux points de passage sur la rivière ont apparu.L’un de ces passages dessert Shwe Kokko, que le Trésor américain qualifie de “plaque tournante notoire des escroqueries aux investissements en monnaie virtuelle, sous la protection de l’Armée nationale karen”, une milice alliée à la junte birmane.Les zones frontalières entre la Birmanie, la Thaïlande, la Chine et le Laos, connues sous le nom de Triangle d’Or, sont de longue date un foyer de production d’opium et d’amphétamines, de trafic de drogue, de contrebande, de jeux clandestins et de blanchiment.La corruption et le désordre causé par la guerre civile en Birmanie ont permis aux organisations criminelles d’étendre leurs activités.La fraude en Asie du Sud-Est a fait perdre à ses victimes 37 milliards de dollars en 2023, selon un rapport publié l’année dernière par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime.Nombre des personnes extraites des centres en février disent y avoir été emmenées contre leur gré en transitant par la Thaïlande et y avoir été forcées à travailler et battues.D’autres ont déclaré avoir été attirées par la promesse d’emplois bien payés. D’autres encore sont venues de leur plein gré, disent des experts.Pékin a fait pression sur les autorités birmanes et thaïlandaises pour qu’elles sévissent après l’émoi public suscité par le sort de l’acteur Wang Xing. Celui-ci a raconté avoir été enlevé à l’aéroport de Bangkok où il s’était rendu en vue d’un prétendu casting et avoir été emmené dans un centre de cyber-arnaque birman.La justice chinoise a récemment prononcé 11 condamnations fermes à la peine de mort à l’encontre de membres présumés d’un gang se livrant à la cyberfraude de l’autre côté de la frontière avec la Birmanie et responsable de la mort d’au moins 14 personnes, dont une dizaine qui cherchaient à s’enfuir d’un complexe d’arnaque.- Supplier à genoux -Des mois d’enquête dessinent un monde impitoyable peuplé d’individus insaisissables prêts à vendre des êtres ou à négocier leur libération, pour peu que le prix soit le bon, sous l’égide de milices aux intérêts communs ou concurrents.Sun, dont l’AFP préserve l’identité pour sa sécurité, fait partie des milliers de Chinois engloutis par ce gouffre. Ce jeune villageois à la voix douce venu des montagnes du Yunnan relate comment lui et d’autres étaient régulièrement battus à coups de matraque électrique et de fouet s’ils faiblissaient à la tâche ou désobéissaient aux ordres.”Presque tous ceux qui étaient dedans ont été battus à un moment ou à un autre, soit pour avoir refusé de travailler, soit pour avoir tenté de sortir”, rapporte-t-il. Mais, vu la hauteur des clôtures et la présence de miradors et de gardes armés, “il n’y avait aucun moyen de partir” avant l’épilogue de février, pour lui et 5.400 autres Chinois.Les journalistes de l’AFP lui ont parlé au moment de sa sortie du centre, puis au téléphone, puis encore à son retour dans son village isolé.Ses ennuis ont commencé en juin 2024 quand il a quitté son village pauvre situé à une centaine de kilomètres de la Birmanie, se rappelle-t-il. Il avait déjà un enfant et la famille en attendait un autre. Le jeune homme de 25 ans avait entendu dire qu’il était possible de gagner de l’argent en vendant des produits chinois en ligne via la Thaïlande. “On m’a dit que c’était très rentable.”Le voyage a viré au cauchemar à Mae Sot, ville frontalière thaïlandaise. Sun raconte y avoir été enlevé et transféré, par la rivière Moei, à Myawaddy vers ses centres d’escroquerie. Il se souvient avoir été “terrifié”. “Je n’arrêtais pas de les supplier à genoux de me laisser partir.”A Myawaddy, il a été emmené dans un camp de miliciens. Il y a été vendu pour 650.000 bahts thaïlandais (20.000 dollars) à un centre de cyberfraude, la première d’une série de transactions analogues. On lui a ordonné de faire des exercices de frappe pour accélérer sa vitesse d’écriture. Mais Sun est atteint d’une déformation du doigt qui le ralentissait et attirait les foudres de ses supérieurs.- Filatures -Son handicap lui a valu d’être confiné à des tâches subalternes et revendu de centre en centre, jusqu’au dernier, d’où il a réellement envoyé des messages à des gogos aux États-Unis, raconte-t-il. Une fois les victimes ferrées, il passait la main à des fraudeurs plus aguerris chargés de parachever l’ouvrage.Les centres fournissent à leurs petites mains des mémentos pour remplir leur tâche. Un texte de 26 pages suggère au fraudeur d’adopter le personnage d’Abby, une Japonaise de 35 ans en mal d’amour, pour séduire l’interlocuteur en ligne. “Je sens que nous sommes faits l’un pour l’autre”, peut dire Abby à son correspondant.C’est une industrie entourée d’une grande opacité, que les relations complexes de la Chine et de la Thaïlande avec le régime militaire birman et divers groupes, rebelles ou non, n’aident pas à dissiper. Beaucoup de ces groupes se livrent à l’exploitation minière et forestière et à la production de drogue.Les gangs emploient dans ces centres une main-d’œuvre quasiment réduite à l’esclavage aussi bien que des programmeurs qualifiés grassement payés, décrit David Scott Mathieson, grand connaisseur de la Birmanie, un ancien de Human Rights Watch.Les autorités chinoises traitent les personnes comme Sun comme des “suspects”. L’AFP a confirmé les principaux aspects de son récit en consultant plusieurs experts. Mais d’autres éléments ont été plus difficiles à corroborer. Les autorités thaïlandaises n’ont pas fourni d’informations.En Chine, les journalistes de l’AFP ont été suivis par plusieurs voitures banalisées alors qu’ils allaient voir Sun dans son village, à trois heures de la ville la plus proche, Lincang. Quelques minutes après le début de l’entretien, un groupe de fonctionnaires est arrivé pour, ont-ils expliqué, l’emmener “vérifier” qu’il allait bien. À son retour une demi-heure plus tard, il a refusé de s’exprimer davantage.Les semaines précédant son extraction du centre, Sun se demandait s’il arriverait à échapper un jour aux violences, aux menaces et aux corvées. “Je pensais à la possibilité (de mourir…) presque tous les jours”, confie-t-il.L’AFP a obtenu la copie d’un “contrat de travail” interdisant au personnel d’un centre de chatter ou de quitter son poste, et autorisant l’encadrement à “former” ceux qui enfreignent les règles.- Le désespoir des proches -La Chine met en garde ses citoyens depuis des années contre la cyberfraude, qu’il s’agisse des arnaques en ligne ou des offres d’emploi crapuleuses. Mais un flux constant de Chinois disparaît encore. Leurs proches se lancent désespérément à leur recherche, s’exposant eux-mêmes à de sombres agissements.Fang, originaire du Gansu, dans le nord-ouest de la Chine, raconte que son frère de 22 ans, en décrochage scolaire, s’est volatilisé en février dans le Yunnan, à la frontière birmane. Son frère avait probablement des soucis financiers et s’est rendu à Xishuangbanna, près de la frontière du Triangle d’Or, pour s’adonner au trafic d’or et de montres, pense-t-elle.Elle est à présent convaincue qu’il a été attiré là-bas et forcé de passer en Birmanie. Les relevés téléphoniques le localisent pour la dernière fois dans la région de Wa, bastion du groupe ethnique le plus important et le mieux armé de Birmanie.Comme d’autres membres de sa famille, elle se sent impuissante malgré ses appels à l’aide aux autorités chinoises. “C’est le petit dernier de la famille”, explique-t-elle. “Ma grand-mère, atteinte d’un cancer en phase terminale, pleure tous les jours à la maison.”Fang dit avoir rejoint sur la messagerie chinoise WeChat plusieurs groupes de personnes à la recherche de proches disparus près de la frontière avec la Birmanie. Elle a été approchée par des “sauveteurs” auto-proclamés lui proposant leurs services.L’AFP a contacté plus d’une douzaine de ces personnages faisant la promotion de leurs activités sur les plateformes Xiaohongshu et Kuaishou. Beaucoup semblaient avoir eux-mêmes travaillé dans les centres de cyberfraude et se prévalaient de leurs liens avec des trafiquants.Ils ont assuré pouvoir actionner des relais dans les centres ou parmi les “têtes de serpent”, des passeurs de mèche avec les centres. La plupart ont évoqué le paiement de rançons équivalant à des dizaines de milliers de dollars, en fonction du centre où se trouverait la personne disparue et d’éventuelles dettes qu’elle aurait auprès du gang.- Soudain sauvetage -Certains de ces “sauveteurs” ont affirmé ne pas prendre d’argent pour eux-mêmes. D’autres au contraire ont exposé clairement la part leur revenant et celle revenant à des intermédiaires.L’un d’eux, se présentant sous le nom de Li Chao, dit gagner des milliers de yuans par mois (1 yuan = 0,12 euro) en organisant des sauvetages au Cambodge – autre plaque tournante pour la fraude et le blanchiment – en repérant les camps et en escamotant les fugitifs en voiture de location. C’est un travail rémunérateur, mais “il y a aussi des risques pour moi”, déclare-t-il.Ling Li, chercheuse sur l’esclavage moderne aux commandes d’une ONG de lutte contre la traite des êtres humains, s’émeut que des gens comme Li Chao lui “compliquent” la tâche.Son organisation aide les familles à rechercher des travailleurs en Birmanie et au Cambodge en contactant la police et en négociant des rançons.De nombreux “sauveteurs” sont eux-mêmes des escrocs ou facturent des sommes faramineuses pour des extractions qui, souvent, ne se concrétisent jamais, déclare-t-elle. “Les familles peuvent facilement se faire rouler par des opportunistes.”Certains proches ont versé des milliers de yuans pour rien, abonde Fang. Les sauveteurs “prétendent avoir des relations, en réalité il ne s’agit que d’une arnaque de plus”, tranche-t-elle.Sun a été extrait le 12 février. Il réparait des téléphones ce matin-là quand un groupe d’hommes armés est arrivé et les a entassés, lui et des dizaines d’autres, dans des pickups qui les ont les conduits vers un camp de miliciens. Quelques heures après, il était dans un bateau pour la Thaïlande.”Jamais je n’aurais imaginé être sauvé aussi soudainement”, dit-il. Dix jours plus tard, on l’a embarqué dans un avion à destination de Nanjing, en Chine, encadré par des policiers.- “État ennemi” -Sun fait partie des milliers de personnes arrêtées lors de l’opération conjointe de février entre la Chine, la Thaïlande et deux anciens groupes rebelles karens à présent alliés à l’armée birmane parmi les différentes milices opérant autour de Myawaddy.Les fraudeurs sévissent dans un “environnement très permissif, avec l’autorisation des milices birmanes affiliées à la junte”, commente un récent rapport du groupe de réflexion Australian Strategic Policy Institute, en partie financé par le ministère de la Défense australien.Si de violents combats opposent souvent des groupes rivaux près des centres, ces derniers n’auraient jamais été touchés, note le rapport. Personne ne veut mettre en péril les “profits bruts générés par l’industrie de l’escroquerie”, ajoute-t-il.Pékin assure que son action témoigne de son engagement “résolu” à enrayer cette calamité. Mais Nathan Ruser, auteur du rapport de l’Australian Strategic Policy Institute, et d’autres experts, affirment que des opérations comme celle de février ne font que perturber temporairement les réseaux criminels.”Tant que la junte militaire de Rangoun favorisera et alimentera cette industrie, je pense que cela restera un jeu du chat et de la souris”, estime Nathan Ruser. De nouveaux centres “surgiront ailleurs”, prédit-il.Sun insiste sur le fait qu’il a été forcé de travailler dans les centres et n’a jamais escroqué personne. Traumatisé, épuisé et toujours en liberté sous caution, il trouve le “fardeau mental” de son calvaire difficile à supporter.Pékin n’a pas précisé comment il comptait traiter ceux qui ont travaillé dans les centres. Des experts font valoir que nombre d’entre eux minimisent leur implication pour échapper à la sanction.La société chinoise éprouve peu de compassion pour eux, quoi qu’ils aient fait, selon la chercheuse Ling Li. “On vous jugera pour votre cupidité et votre stupidité”, résume-t-elle.Mais les gouvernements ont fait preuve d’une “négligence insensée” face à la gravité du problème, accuse l’experte Erin West. “On nous vole la valeur d’une génération de richesse”, dénonce-t-elle. “Je ne sais pas comment nous allons y mettre fin. C’est devenu bien trop grand, comme un État ennemi”.isk-mjw-sjc-fg/lal/dp/ib/tmt