Sur le Rhône presque limpide, le bateau pneumatique fend la brume matinale. A bord, des scientifiques du CNRS et des bénévoles jettent et retirent inlassablement deux filets flottants. Ils veulent comprendre comment les microplastiques disséminés dans la pollution du fleuve interagissent avec le vivant.Pendant cette mission de recherche de trois semaines en avril, “nous voulons savoir ce que transportent les plastiques, s’ils vont être eux-mêmes un véhicule de produits chimiques dans le fleuve, puis dans la mer”, détaille Jean-François Ghiglione, directeur de recherche en écotoxicologie microbienne marine.Est-ce que ces microplastiques mêlés à des bactéries et des éléments naturels sont absorbés par les organismes ou animaux marins? La question taraude Alexandra Ter Halle, physico-chimiste, l’une des premières à avoir identifié les zones d’accumulation océanique du plastique, surnommées “le septième continent”.L’AFP a suivi une journée l’équipe scientifique, qui est soutenue par le fonds de dotation Kresk 4 Oceans et accompagnée par l’ONG “expédition 7e continent”.- Travail de fourmi -Un véritable travail de fourmi: les chercheurs filtrent l’eau du fleuve, récupèrent des microplastiques de quelques millimètres, qu’ils mesurent, identifient, classent et analysent.Quasiment la même équipe, dans une autre mission en 2019 dont les résultats ont été publiés le 7 avril, a montré que les grands fleuves européens sont envahis de microplastiques à raison de trois par mètre cube d’eau en moyenne, soit, pour le Rhône, “900 par seconde”.Leur démarche pluridisciplinaire illustre ce que de nombreux scientifiques appellent désormais l’Anthropocène: la plus récente des ères géologiques de la planète, dont le plastique serait le principal marqueur en montrant l’effet perturbateur des activités humaines sur le fonctionnement des éléments naturels.Au bout d’une demi-heure sur le bateau à petite vitesse, on remonte les deux filets. Deux collecteurs, tubes gris d’une dizaine de centimètres de diamètre, ont récupéré tout ce qui flottait à la surface de l’eau. Ils sont vidés avec soin sur un tamis posé sur un seau.Armée d’une pince à épiler, Alexandra Ter Halle démêle un enchevêtrement de débris et de déchets : branchages, mousses, boules de pollen, bouchon, brin de plastique vert venu d’une fausse pelouse, particule bleue ou rose d’un jouet ou d’un bidon depuis longtemps désintégré.Les déchets organiques sont rejetés à l’eau. Les plastiques sont conservés, triés par taille et rangés dans des sacs plastique transparents étiquetés avec le jour et les conditions de collecte.”Nous cherchons à doser les perturbateurs endocriniens” trouvés sur les plastiques, explique Alexandra Ter Halle qui mène les recherches dans son laboratoire à Toulouse. La recherche cible quatre d’entre eux: phtalates, bisphénol, PCB et filtres solaires des cosmétiques. Les deux premiers sont des additifs incorporés dans le plastique lors de sa fabrication et désormais interdits. Le Polychlorobyphenyl (PCB), un isolant électrique lui aussi interdit, se trouve depuis des dizaines d’années dans les sédiments du Rhône, issu des rejets des usines du couloir de la chimie au sud de Lyon.- “Je ne voulais pas être éboueur” -Pour les détecter, l’équipe analyse le “biofilm” bactérien qui se forme sur les plastiques dérivants dans l’eau, en utilisant la pyrolyse et la spectrométrie de masse.”Ce dont on s’est rendu compte, c’est qu’un plastique est hydrophobe, c’est-à-dire huileux. Et quand on a deux gouttes d’huile, elles vont se coller l’une à l’autre. C’est la même chose sur un morceau de plastique: il va accrocher tout ce qui est huileux, donc tout ce qui est hydrocarbure, pesticides, métaux lourds”, ainsi que des bactéries, explique Jean-François Ghiglione: le biofilm qui se forme “attire les molécules chimiques qui viennent s’accrocher sur le plastique”.Ces rencontres contribuent-elles à fabriquer des molécules Frankenstein dans la nature, avec le plastique qui se mêle au vivant? Alexandra Ter Halle éclate de rire: “Je n’ai jamais utilisé ce terme, mais oui, on peut dire ça”, répond-elle à l’AFP.”Plus on travaille sur les plastiques, plus on se rend compte qu’ils ont une toxicité qui n’était pas envisagée au départ, et aujourd’hui on fait face à une réelle pollution (…) qui touche tous les écosystèmes”, complète Jean-François Ghiglione. “Ils sont une vraie +éponge à polluants+”.Son parcours scientifique personnel a été bouleversé par sa rencontre avec le plastique dans les milieux naturels, qui “perturbe la façon dont le monde fonctionne”.”Je voulais être océanographe, je voulais travailler avec les dauphins, je ne voulais pas être éboueur”, dit-il, en souriant un peu tristement.
Mon, 21 Apr 2025 06:34:10 GMT
