Procédure contre symbole: tensions autour d’une statue de Jeanne d’Arc à Nice

La justice se prononcera mi-juillet sur le sort d’une monumentale statue de Jeanne d’Arc, érigée à l’automne à Nice et devenue un point de crispation, entre symbole national et respect du code de la commande publique.Au départ, c’est d’abord l’histoire d’un parking souterrain construit devant l’église Sainte-Jeanne-d’Arc, dans un quartier résidentiel près du centre-ville par la régie Parcs d’Azur, organisme public dépendant de la métropole.Compte tenu de l’emplacement, la métropole a choisi d’agrémenter le parc aménagé en surface d’une statue de la Pucelle.Une commande de 170.000 euros, pour la statue d’une figure religieuse récemment adoptée par l’extrême droite, confiée à l’Atelier Missor, dont les rêves de statues en titane ont récemment attiré un compliment d’Elon Musk sur X…L’initiative a provoqué des réticences à gauche, d’autant qu’elle est portée par Gaël Nofri, président de Parcs d’Azur, adjoint au maire Christian Estrosi (Horizons) mais passé par le Front national.Installée à l’automne 2024, lors de l’inauguration du stationnement, la statue en bronze doré à l’or fin montre une Jeanne jeune et ardente, en armure et à cheval, brandissant une épée qu’elle tient par la lame. Un geste d’apaisement selon Missor, une manière détournée de brandir une croix selon ses détracteurs.Au-delà des symboles, c’est un doute beaucoup plus prosaïque sur la légalité du marché public qui a poussé l’ancien préfet Hugues Moutouh, admirateur revendiqué de Jeanne d’Arc, à saisir le tribunal administratif.La décision est tombée en janvier: faute de mise en concurrence, le marché a été annulé et ordre a été donné de démonter la statue.”Je ne céderai rien. Les déboulonneurs de notre grand destin national peuvent passer leur chemin”, a promis M. Estrosi.”Si on déboulonne la statue de Jeanne d’Arc, c’est comme si on la brûlait une deuxième fois!”, a lancé Missor sur les réseaux sociaux, accusant “la bureaucratie, avec la complicité d’intellectuels de gauche et de profs des Beaux-Arts” de créer “un monde gris et triste”.- “Mieux que toutes les récupérations” -Saisie par la régie Parcs d’Azur et par Missor, la cour administrative d’appel de Marseille s’est penchée jeudi sur le dossier.En première instance, la régie avait argué avoir suivi une disposition du code de la commande publique, pouvant s’appliquer notamment aux oeuvres d’art, permettant de se passer de mise en concurrence lorsqu’un seul opérateur est en mesure de réaliser la commande. Mais le besoin identifié en l’espèce “est celui d’une statue de Jeanne d’Arc et non d’une statue de Jeanne d’Arc d’un artiste particulier”, a argué le rapporteur public jeudi, rappelant qu’au moment où la maîtrise d’ouvrage a été confiée à la régie Parcs d’Azur en avril 2022, “aucun nom d’artiste spécifique” n’a été donné et que l’Atelier Missor – créé en janvier 2021 – ne jouissait alors “d’aucune notoriété”.Rien ne prouvait qu’aucun autre atelier n’était capable de réaliser une grande statue en bronze de Jeanne d’Arc, a estimé le tribunal administratif de Nice en première instance.Selon Me Carine Chaix, avocate de l’atelier Missor, pour justifier l’absence de mise en concurrence dans le cadre d’une commande d’oeuvre d’art, “il n’y a plus d’autre critère que le fait que ce soit une oeuvre d’art ou une performance artistique unique”.”Au moment de la commande, l’Atelier Missor était connu et identifié par le président de la régie qui était tombé en admiration devant (leurs) bustes de Jeanne d’Arc. Ce style de l’Atelier Missor (lui) a immédiatement plu, c’est ce style qu’il est venu chercher”, a-t-elle ajouté lors de l’audience jeudi.Si l’annulation du marché est confirmée dans quinze jours, quand la cour administrative d’appel doit rendre son arrêt, la solution pourrait venir d’une cagnotte ouverte en janvier pour racheter la statue. Rapidement montée à plus de 52.000 euros, elle plafonne depuis plusieurs mois, mais pourrait être relancée en cas de décision contraire. La toute jeune statue a en effet déjà ses admirateurs. Elle est devenue un point de ralliement du RN et de Reconquête! et le 1er mai, plusieurs dizaines de jeunes identitaires du groupuscule niçois Aquila Popularis s’y sont donné rendez-vous.”Jeanne n’est pas un souvenir, elle est un ordre. Français, niçois, défends ton héritage !”, ont-ils lancé sur les réseaux sociaux.Mais M. Estrosi a lui aussi organisé une cérémonie quelques semaines plus tard devant la statue, avec porte-drapeaux et marseillaise: “Notre Jeanne d’Arc est apaisée et forte à la fois. Elle rassemble et vaut infiniment mieux que toutes les récupérations”.