“Ce sont ceux qui connaissent le moins le pays qui le dirigent”: dix ans après “Merci Patron !”, le député de gauche François Ruffin est de retour au cinéma avec “Au Boulot !”, manifeste sur la déconnexion des classes supérieures.Choc des cultures et rires garantis avec cette “comédie documentaire”, en salles le 6 novembre: Ruffin y plonge une chroniqueuse de CNews, la juriste Sarah Saldmann, qui pourfend “l’assistanat” sur les plateaux télé, dans la vie quotidienne de salariés au Smic.Question : Pourquoi plonger Sarah Saldmann dans le quotidien des Français modestes, qu’elle qualifie d'”assistés” et de “feignasses” ?François Ruffin : “Nos vrais héros dans le film, c’est Nathalie, Sylvain, Louisa. Des gens extraordinaires, mais avec des existences qu’on dira ordinaires. C’est les gens dont Macron disait qu’ils ne sont rien, mais qui font tout.Comment les raconter, et ce qu’ils ont d’extraordinaire ? On a quelque chose qui est de l’ordre d’une revanche sociale, d’un droit de réponse. D’un coup, on a l’éditorialiste de plateau télé qui, boum, remet les pieds dans la gadoue, sur le sol commun, et à qui ils peuvent s’adresser à égalité. Et qui est obligé d’en rabattre un peu en disant +Ouais, je ne savais pas tout ça, je ne parlerai plus de vous de la même manière+”.Question : Aviez-vous anticipé un tel choc entre deux mondes ?François Ruffin: “Sarah Saldmann a un côté folklorique. (…) Ce que je prends très au sérieux, ce sont ses préjugés. Que les salariés ne veulent rien faire, ne veulent pas bosser jusqu’à 64 ans, prennent des arrêts-maladie pour rien, ne bougent pas de leur canapé… Ce ne sont pas des préjugés individuels, ce ne sont même pas les préjugés de la grande bourgeoisie, ce sont maintenant des préjugés qui sont très ancrés dans les classes populaires elles-mêmes. L’idée, c’est de déminer les préjugés de Sarah Saldmann, pour déminer les préjugés ancrés dans le pays”.Question: Comment se sont organisées les rencontres ?François Ruffin : “Elle ne savait pas où est-ce qu’on allait. C’est comme dans +Rendez-vous dans terre inconnue+ (émission d’aventure sur France 2, ndlr). Nous, on fait très peu de repérages. Il y avait l’idée de (…) montrer la France dans sa diversité, (…) une France fraternelle, humaine, qui se rassemble, une France qui s’aime et qu’on a envie d’aimer. Dans un temps où ce qui nous est donné en permanence, c’est une France de la haine, du racisme, des querelles.”Question: Vous filmez aussi bien dans le Nord que dans les quartiers populaires comme à Grigny, que certains chez LFI vous accusent de négliger…François Ruffin: “Je suis pour unifier les classes populaires. Faire que la barrière du racisme qui pourrait séparer la France populaire des bourgs et la France populaire des tours, on la brise. Quand on a côte à côte Louisa en tenue traditionnelle algérienne et Elie paysan du Morvan, c’est une France unie. Et quand on pousse la porte d’un restaurant qu’on tombe sur Haroun, cuisinier afghan qui a traversé 16 frontières et (…) fait des ficelles picardes à Amiens, je trouve que c’est la meilleure des réponses (au ministre de l’Intérieur) Bruno Retailleau”.Question: Vous pointez un séparatisme qui serait celui des plus riches ?François Ruffin : “Je n’ai pas de doute, qu’aujourd’hui il y a un séparatisme des riches. C’est les ghettos du Gotha. Malheureusement, c’est ceux qui connaissent moins le pays qui aujourd’hui le dirigent (…). Ils en sont déconnectés et pourtant ils donnent des ordres aux salariés, aux gens sur comment ils doivent vivre, travailler”.Question: “Peut-on réinsérer les riches ?”, s’interroge le film. Cela passe-t-il par une augmentation des impôts, comme le prévoit le projet de budget du gouvernement ?François Ruffin : “On en est très loin ! (…) Ce qui est fait aujourd’hui, c’est epsilon. (…) L’impôt est un instrument. Il y a un autre instrument, c’est la démocratie. Il faut parler du partage des richesses, mais aussi du partage des pouvoirs.”