Perchée sur un muret près de la célèbre place Venceslas dans le coeur historique de Prague, Lada renifle, s’essuie le nez sur une manche et regarde au loin pour rassembler ses idées.Tous les vendredis, cette travailleuse du sexe de 54 ans qui a longtemps squatté la gare centrale fait visiter aux touristes les bas-fonds de la capitale tchèque, à la vie nocturne effervescente dans les années 1990.”Au moins, ma vie gâchée peut être utile. C’est un soulagement pour moi, un moyen de me réhabiliter, de pouvoir partager ma leçon de vie”, dit-elle à l’AFP en marge du tour. Lada, qui n’a pas donné son nom de famille, est l’une des six guides travaillant pour l’association Pragulic, que cherche à lutter contre les préjugés sur les 4.000 sans-abris officiellement recensés dans la ville de 1,3 million d’habitants.A l’instar d’initiatives similaires ailleurs en Europe, Pragulic, lancé il y a 12 ans, “essaye d’ouvrir les yeux” des visiteurs et de leur montrer qu’on peut “très vite se retrouver à la rue”, explique à l’AFP sa responsable de la communication Petra Jackova.- “J’y vais machinalement” -Tout en offrant aux SDF “l’opportunité de réintégrer la société”, ajoute-t-elle, comme une “sorte de thérapie leur permettant de retrouver la mémoire, certains ayant enfoui des pans entiers de leur vie”.Plusieurs d’entre eux ont repris pied après avoir honoré des dettes mais Lada, qui a tout perdu dans la drogue et les machines à sous, a encore du chemin à faire.Si elle reçoit 400 couronnes tchèques (16 euros) par visite, elle vend toujours son corps, pour joindre les deux bouts.”Je ne le fais que quand j’ai besoin d’acheter de la lessive ou la pâtée du chat”, explique la guide, qui est lesbienne. “J’y vais machinalement”, lance-t-elle. “Mentalement, je ne tiens pas plus de 20 minutes.”Son destin ressemble à beaucoup d’autres. Mère célibataire à 17 ans, elle a d’abord confié son fils à sa mère et quitté sa petite ville natale pour rejoindre Prague. “J’étais jeune et stupide. Mais je voulais vivre”, raconte-t-elle.Deux ans plus tard, elle tombe dans la prostitution et passe trois décennies dans la drogue, travaillant en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas et en Suisse. Jusqu’à se retrouver à la rue après avoir essayé la seringue.Au fil des épreuves, elle a développé des troubles bipolaires qui l’ont conduite quinze fois en hôpital psychiatrique.- Orphelinat -Désintoxiquée depuis quatre ans, cette lectrice passionnée aimerait maintenant sortir de la prostitution.Parmi la vingtaine de touristes qui l’écoutent, Petra Weidenhofferova, qui a donné un pourboire à Lada à la fin de la visite payée 14 euros, se dit surprise par sa sincérité totale. “On pourrait penser qu’elle a honte, mais elle ne cache rien” de son histoire, remarque-t-elle.Un autre soir, devant la gare centrale, Roman Balaz, 55 ans, accueille jovialement un groupe d’étudiants. “Je suis votre ticket d’entrée pour un monde souterrain”, leur crie l’énergique guide à queue de cheval.Ayant grandi dans un orphelinat, cet ancien boulanger s’est essayé pour la première fois à la drogue à 32 ans, à la suite d’une rupture avec son petit ami. Il a commencé lui aussi à se prostituer avant de se retrouver sans domicile stable pendant neuf ans.Le quinquagénaire a progressivement arrêté les stupéfiants, mettant 10 mois à s’en remettre. Il emmène les visiteurs voir un couple vivant sous un pont, là où lui-même a dormi par le passé.Les visiteurs prennent le temps de poser des questions puis donnent ensuite, encouragés par Roman Balaz, quelques couronnes pour manger. Pour leur guide, ce travail est “une mission”. Il n’a pas de regrets: “ma vie est comme elle est”, dit-il.
Thu, 21 Nov 2024 10:45:13 GMT